MÉDAILLE COMMÉMORATIVE
DE LA GUERRE 1870-1871

Source :
Bibliothèque nationale de France

 

 

 

RÉFLEXIONS, DOLÉANCES, ANNONCES ET DÉBATS PARLEMENTAIRES
au sujet de la création de cette médaille, dans les colonnes du journal "Le VÉTÉRAN",
Bulletin officiel de la Société Nationale de Retraites Les Vétérans des Armées de Terre et de Mer 1870-1871.

 

 

 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 3 de septembre 1898, pages 11 et 12.

 

La Médaille commémorative de 1870-1871. — Urgence de sa création.

Les puissances étrangères, toutes, ont institué des médailles commémoratives des guerres modernes où leurs destinées ont été mises en jeu ; qu'elles aient été victorieuses, ou non, elles entendaient, par là, consacrer, récompenser, non des combattants favorisés de l'aveugle et capricieuse victoire, mais la fière et réelle bravoure du soldat.

En France, la médaille de Ste-Hélène, celles commémoratives de Crimée, d'Italie, du Mexique, et autres, et, plus récemment, la médaille coloniale, paraissant devoir généraliser la mesure, créer un précédent légal, furent instituées pour donner à nos soldats, réunissant des conditions déterminées, le témoignage de leur participation à ces meurtrières et glorieuses expéditions.

De bons Français, aussi profondément judicieux qu'équitables, jugèrent que les combattants de Wissembourg, de Reichshoffen, de cent autres batailles et combats sanglants et glorieux, que les défenseurs stoïques de nos villes assiégées, que nos héros, qui, à leurs vainqueurs étonnés, effrayés même de leur audacieuse intrépidité, surent arracher ce cri d'admiration aujourd'hui historique : Ah ! les braves gens, que tous ces vaillants ont des titres, des droits égaux sinon supérieurs à ceux de leurs frères d'armes récompensés, réclamèrent pour les survivants de nos rudes campagnes de 1870-1871 la création d'une médaille ou d'un signe distinctif attestant le devoir accompli, et, les plaçant sur le pied d'égalité avec leurs frères d'armes privilégiés.

Dans ce but, deux pétitionnements furent adressés aux Chambres françaises ; malgré l'excellence de la cause, malgré l'éloquence de ses défenseurs ( à qui nous exprimons notre sincère et bien vive reconnaissance ), malgré le vote émis à 52 voix de majorité par la Chambre des députés, le 20 janvier 1898 ; les adversaires de cet équitable et patriotique projet, l'ayant combattu, habilement s'ils furent sincères, ( astucieusement dans le cas contraire ), avec des arguments faux ou tout au moins erronés, bien que de prime abord ils pussent paraitre judicieux, en obtinrent du Sénat le rejet, qui, nous sommes fondés à l'espérer, n'est qu'un ajournement.

En effet, ils disent : Un grand peuple ne perpétue pas le souvenir de sa défaite, de son désastre, par une médaille ou une institution quelconque ; ils ajoutent : Le budget de la France n'a point de ressource pour solder cette dépense. Faisons d'abord justice de ce dernier argument. Qui oserait soutenir sérieusement ? à qui oserait-on essayer de faire croire que la nation généreuse autant que brave, qui a dépensé pour sa défense près de cinq milliards, qui a payé l'énorme rançon de cinq milliards, qui, pour couvrir sa frontière, refaire ses armements, ses approvisionnements, a dépensé dix milliards, ensemble vingt milliards ; qui, chaque année, solde le colossal budget de dépenses de 3 000.000 000 soit dix millions par jour risquerait de compromettre l'équilibre de ses finances, si elle s'imposait cette dépense une seule fois faite de : un million, pour acquitter envers les quatre à cinq cent mille survivants des campagnes de 1870-1871 la dette d'honneur, contractée pendant l'année terrible sur nos champs de batailles. Insister serait superflu.

Eh ! oui, sans doute, ce diplôme, cette médaille, ils rappelleront notre défaite, notre désastre ; mais aussi leur origine, leurs causes, leurs conséquences ; ils seront aussi le témoignage irréfutable de l'accomplissement du devoir civique, l'évocation du deuil national, glorieux en ses tristesses, la leçon du devoir patriotique, le phare de l'avenir, et, nous les voudrions en permanence au foyer de chaque famille française. Là, ils rappelleraient à tous, qu'il ne suffit point qu'un peuple ait le patriotisme inné, mais qu'il lui faut l'éducation et l'instruction patriotiques complètes, sous peine ( 1870 et 1871 en sont les terribles preuves ) de s'exposer aux plus rudes épreuves ; ils rappelaient aussi le complot sournoisement ourdi ; l'inique provocation par fausses dépêches ; la violation des formelles et solennelles déclarations de Guillaume de Prusse : L'Allemagne ne fait point la guerre à la France, mais à l'Empire ; l'avide rançon et le démembrement de la Patrie française ; notre impérieux devoir d'être constamment prêts pour la guerre défensive et au besoin pour la guerre offensive, dont les événements, et aussi notre alliance avec la grande et loyale Russie, peuvent nous faire un devoir et sonner le signal d'un jour, d'une heure à l'autre.

Nous n'avons pas été, aux Vétérans, les promoteurs de ce mouvement, qu'au nom de l'équité française, nous approuvons, mais, mis en cause à la tribune du Parlement de France, nous ne saurions, sans déserter notre primordial devoir, nous désintéresser d'un jugement porté en si haut lieu : 1° sur nos frères d'armes morts au champ d'honneur, dont nous devons défendre et glorifier la mémoire en attendant que nous puissions venger leur trépas ; 2° sur nous mêmes qui avons partagé leurs fatigues, leurs dangers, ( le destin seul parmi nous a marqué les glorieuses victimes ) et qui en nos rangs comptons en si grand nombre : de vaillants volontaires, des blessés, des mutilés glorieux, des héros obscurs ; 3° sur notre France, qui ne fut vaincue que par surprise, par son imprévoyance, par la fatale désunion, par la famine, par l'odieuse trahison ; et qui, par son héroïsme, ennoblit sa défaite.

Oui, en cette longue lutte, toute d'alternatives de succès et de revers, qu'on a dénommée : une folie héroïque, alors qu'elle fut uniquement : un saint devoir stoïquement rempli, à côté de glorieuses victoires, nous pouvons être fiers également, de défaites nombreuses, aussi glorieuses que ces victoires, où l'ennemi, vainqueur toujours par le nombre, jamais par la valeur, n'osa point poursuivre ses succès.

Depuis, 27 années se sont écoulées, et dure encore, ininterrompue, la veillée des armes qui ne prendra fin qu'après la victorieuse revanche, impatiemment attendue par les vaincus irresponsables, que rien ne saurait lasser. Oublier, jamais ! telle est leur devise. La France libre et intégrale, tel est leur programme, droits, devoirs, revendications sont chez eux irréductibles et imprescriptibles.

Seuls, les événements, sans préméditation de notre part, ont fixé l'échéance du débat, il est temps que les Chambres françaises, s'affranchissant enfin de néfastes sophismes, dégagent cette page sombre, mais glorieuse, de notre histoire, de toutes ambiguïtés ; qu'elles affirment et proclament solennellement cette vérité : La France en 1870 et 1871 a fait vaillamment tout son devoir, elle est restée digne de son antique renommée, elle désavouerait quiconque en son nom, invoquerait la prescription, nierait la dette glorieuse, essayerait d'en éluder les devoirs.

Le Parlement de France, en proclamant cette vérité qu'en 1870 et 1871, nos armées ont combattu avec la bravoure et l'intrépidité caractéristiques du tempérament de race, et en votant la Médaille du Souvenir et de l'Espérance, fera équitable justice, il développera les sentiments patriotiques et d'union nationale, il préparera à la France les dévouements absolus qui enfantent les vengeurs.

C'est ce que, confiants en son loyalisme, ont l'honneur de lui demander, d'attendre, d'espérer, les Vétérans des armées de terre et de mer 1870-1871.

O. LEVECQ,
Ex-capitaine aux Eclaireurs 1870-1871 et au 40e régiment territorial d'infanterie.
Président général de la Société.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 4 de octobre 1898, pages 8 et 9.

 

NOUVEAU PLAIDOYER
Pour une médaille

Le capitaine Prot, un ami de trente ans, m'ayant fait la gracieuseté de m'adresser les trois premiers numéros du journal le Vétéran, j'ai un peu considéré cela comme une espèce d'invite à noircir quelques pages à l'intention de la nouvelle feuille, destinée, selon moi, à combler une lacune, à être, en quelque sorte, le Moniteur des Vétérans.

Le dévoué secrétaire général de l'Œuvre n'ignore pas, en effet, que je résiste difficilement à l'attrait que me fait éprouver l'impression dans un journal de mes élucubrations, et c'est ainsi que, depuis six ans, j'appartiens à la rédaction d'un journal suburbain, l'Indépendant de la banlieue de Paris, lequel, maintes fois déjà, a consacré des articles à la Société qui progresse sous la direction de ses intelligents administrateurs, et dont les membres sont devenus légion.

C'est donc avec un grand plaisir que je saisis ma plume, qui n'a rien de commun avec une plume tolédane ( je m'empresse de le dire ), tout en me demandant de quoi je pourrais parler, ou plutôt sur quoi je pourrais écrire ?...

Ma foi, après une seconde de réflexion, je m'étais décidé à remettre sur le tapis cette déjà vieille question d'une médaille commémorative à offrir aux anciens combattants de 1870-1871, et, m'emballant sur ce sujet, j'avais forcément ravivé la plaie que, tous, nous avons au cœur, lorsque je m'aperçus que je rabâchais... En effet, une plume plus autorisée que la mienne, celle du président général de la Société, M. O. Levecq, avait fixé sur le papier, en couleurs magiques, les souvenirs à invoquer pour expliquer les motifs déterminants d'une création à faire — celle d'une médaille commémorative.

J'avouerai qu'un peu déconfit, ma première idée ( on dit que c'est la bonne ) fut de redemander ma copie à mon excellent ami Prot, aux fins de la jeter, moi-même, au panier, mais, au moment de procéder à cette exécution, j'hésitai... dame ! cela m'était permis... J'avais consacré un certain temps à ce travail agréable ; par la pensée, j'avais remonté le cours de mon existence, je m'étais, pour ainsi dire, rajeuni de 27 ans, et cela, en pure perte... Ma foi, non, j'escompterai l'indulgence des lecteurs, je pousserai à la roue, et, emboîtant le pas, tout en gardant mes distances, au capitaine Levecq, je compléterai comme suit son remarquable article, inséré dans le n° 3 du Vétéran.

Depuis une dizaine d'années on a songé à cette distinction ; des comités se sont institués dans le but unique d'amener nos gouvernants, ou mieux nos mandataires à légiférer à ce propos, mais les choses n'ont pas été toutes seules, j'imagine, car la boutonnière ou la poitrine de ceux qui ont versé leur sang, ou enduré des privations de toutes sortes, durant cette période maudite, est toujours vierge d'un ruban, d'une médaille, que, d'ailleurs l'on prodigue, de nos jours à tous ceux qui, à un titre quelconque, ont pris part ( volontairement ou forcément ) à quelqu'une de ces expéditions lointaines dont les résultats, s'ils ne sont pas sans gloire, sont plus ou moins contestables, absolument comme l'a été la défense de Paris, pour ne parler que de cet épisode déjà lointain !

Faisant appel à mes souvenirs du siège, je retracerai à grands traits ce que fut cette époque de luttes, de sorties désespérées, de misères, pour tout dire, où l'on n'avait qu'une seule pensée : briser la ceinture de fer qui, nouvelle tunique de Nessus, vous enserrait, vous brûlait.

Si j'ai vu des gardes nationaux sédentaires, plaisamment dénommés : Escargots de rempart sacrifier au noble jeu du bouchon, il m'a été donné, aussi, de voir le spectacle encourageant et réconfortant, qu'offraient les hommes de ma génération, qui, croyant que c'était arrivé, se faisaient spontanément inscrire sur les registres ouverts à cet effet, sans se soucier de leurs femmes et de leurs jeunes enfants ; bon nombre d'entre eux succombèrent à Garches et à Montretout, d'autres ( trépas plus obscur ) furent victimes de la fatigue, des privations, d'un froid intense ; tous avaient le sentiment qu'un grand devoir leur incombait, et, au moment de l'armistice, j'en ai vu pleurer de rage en songeant qu'il allait falloir déposer le fusil à tabatière, sur lequel ils comptaient pour faire leur partie dans ce duel, hélas si inégal !... Chose touchante, les femmes s'associaient, sans murmurer, à l'élan de nos frères d'armes ; pas une, quelle que fût sa condition sociale, ne risquait une plainte en prenant place parmi cette longue théorie de gens affamés, ou transis de froid, qui, chaque matin, s'alignaient devant les boutiques des bouchers, des boulangers, des charbonniers, et, en dépit des maigres rations, ces dignes ménagères trouvaient encore le moyen de ravitailler le pauvre combattant qui, entre deux sorties, faisait une courte apparition à son logis, d'où tout confort était momentanément banni... Que voulez-vous ! chers camarades, on avait la foi, et l'on se faisait très bien à cette idée que Paris pouvait être débloqué.

Est-ce que vraiment il n'y a pas lieu de perpétuer autrement que par le souvenir — chose fugace — les efforts qui furent faits en ces mois, troublés par le plus pénible des cauchemars ? — la quasi ruine de la patrie — est-ce que des voix autorisées ne s'élèveront pas en faveur des anciens combattants de 1870-1871 pour leur obtenir un pauvre petit ruban de couleur bien sombre, sombre comme nos idées actuelles ?...

Seul l'avenir pourra répondre à cette question qui est sur les lèvres de bien des gens.

GEORGES BERTHOMME-KERLEAU,
Officier d'Académie, ex-caporal-fourrier à la 4e compagnie du 124e régiment de marche de la garde nationale parisienne.
8 septembre 1898.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 7 du 17 février 1907, page 11.

 

La Médaille de 1870

Nous recevons communication de la pétition suivante adressée à M. le Ministre de la guerre, à la Chambre des députés et au Sénat, par le groupe des anciens combattants de 1870-71, de Périgueux :

« Dans la séance du samedi 19 du courant, le Sénat a adopté le chapitre V du budget de la guerre dans lequel est inscrit un crédit voté par la Chambre des Députés dont le but est de donner une médaille aux engagés volontaires de 1870. Cette médaille, nul ne l'ignore, est légitimement revendiquée depuis bien des années, avec une ténacité des plus louables, par tous les groupements d'anciens militaires comptant dans leurs rangs des combattants de 1870-71 et nous ne comprenons pas pourquoi en reconnaissant le bien fondé de cette revendication la Chambre et le Sénat aient songé à n'attribuer cet insigne qu'aux volontaires de 1870.

Certes, nous reconnaissons avec les pouvoirs publics, que les engagés volontaires de 1870 ont bien mérité du pays en donnant en cette circonstance douloureuse que nous connaissons un excellent exemple de patriotisme à nos citoyens. Mais, on-ils été les seuls engagés volontaires de cette époque, à accomplir un devoir qui, selon nous, incombait à tout Français en état de porter les armes ? Et ces autres engagés volontaires, devanciers de ceux de 1870, n'ont-ils donc aucun mérite d'avoir fait toute la campagne ayant déjà à leur actif, les uns quelques années, les autres quelques mois de service, alors qu'ils pouvaient attendre librement, paisiblement le moment de la conscription ? Et tous ceux, enfin, qui, sous les armes pendant l'Année terrible, ont combattu pour la défense du territoire et l'honneur de la France, doivent-ils être réputés indignes de porter sur leur poitrine cet insigne attestant de leur bravoure, de leurs souffrances, qu'ils légueraient à leurs petits enfants comme un souvenir précieux et un gage d'espérance ?

Non, n'est-ce pas, il ne peut y avoir de distinction entre les combattants de 1870. Il n'est pas admissible qu'un engagé volontaire de 1870 — quelques-uns de ces derniers, ayant pu, d'ailleurs, être affectés pendant la campagne à des fonctions quelconques dans un dépôt — soit mieux traité qu'un de ces Vétérans des armées du Rhin, de l'Est, de la Loire, qu'un des héros des défaites glorieuses laissé pour mort sur un champ de bataille, qui ont pris le chemin des prisons de l'Allemagne pour rentrer en France des mois plus tard, tués par la misère, les privations, avec le sentiment de voir le pays vaincu, ou un de ceux, enfin, qui, au prix des plus grands périls, s'échappèrent des mains de l'ennemi pour continuer à combattre donnant, eux aussi, un exemple de courage et d'abnégation.

Nous n'insisterons pas davantage sur la portée que pourrait avoir une indifférence aussi marquée, aussi regrettable à l'égard de ces braves auxquels serait fait un affront aussi grand qu'immérité alors qu'au contraire le ministre de la guerre et les Chambres se montrent si bienveillants pour les anciens serviteurs du pays.

Non, nous le répétons, il ne peut en être ainsi, et nous espérons que cette médaille si longtemps attendue, sera remise indistinctement à tous les combattants de 1870-71. Pour le groupe des anciens combattants de 1870, le délégué officiel du Comité central :

J. LESCURE,
engagé volontaire en 1870, anc. s-of. de chasseurs à pied, en 1870.
Trésorier de la 7e Section des Vétérans

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 8 du 24 février 1907, page 10.

 

La Médaille de 1870

Il paraît que nous allons avoir enfin une médaille commémorative de 1870. Il y a bien longtemps que ce lièvre a été levé pour la première fois et toujours sans succès. Cette année, la Chambre et le Sénat ont voté à une grosse majorité et à titre indicatif, un crédit à l'effet de créer ladite distinction. Toutefois, elle ne sera accordée qu'aux engagée mineurs qui, en 1870, ont fait preuve d'un véritable patriotisme, et, partant, volontairement défendu la patrie, sans y être astreints. Dans ces conditions, si elles sont exactement respectées, ce qu'il faut espérer, la création de la médaille commémorative de 1870 ne soulèvera aucune objection, Elle servira d'exemples aux jeunes générations actuelles et aux générations futures.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 9 du 3 mars 1907, page 9.

 

MÉDAILLE DES ENGAGÉS MINEURS

Un certain nombre de Camarades, engagés mineurs en 1870-71 nous demandent quelles sont les démarches qu'ils auront à accomplir pour l'obtention de la médaille qui leur a été votée par les Chambres. Une circulaire ministérielle que nous reproduiront quand elle paraîtra, les éclairera sur ce point. Du reste, à cette époque, cette circulaire sera sûrement envoyée à toutes les brigades de gendarmerie où les intéressés pourront en prendre connaissance. Il serait prématuré d'adresser dès maintenant aucune demande, puisque le vote des Chambres ne comporte qu'une indication. Selon toute probabilité, il s'écoulera un certain temps ayant que le gouvernement ait pris une décision concernant la frappe et la distribution de cette nouvelle décoration.

****

Nous recevons la lettre suivante :

Saint-Rambert ( Ain ), le 21 février 1907.

Monsieur le directeur du journal « Le Vétéran »,

C'est toujours avec un vif plaisir que je lis dans notre estimable « Vétéran », les appels en faveur des combattants de 1870-71, en vue de l'obtention d'une médaille commémorative. Tout dernièrement, cet appel a été renouvelé par les défenseurs de Belfort et plus récemment encore en faveur des engagés volontaires de 1870-71. Tous sont certainement bien méritants, mais permettez-moi d'ajouter à ces listes une catégorie de volontaires à laquelle nul n'a jamais songé, je veux parler des Alsaciens-Lorrains ! de ces victimes de la force qui prime le droit, qui, incorporés à un titre quelconque avant et pendant la guerre de 1870, ont combattu pour le sol sacré de leur Patrie et après avoir subi, plus durement encore que tous les autres, les horreurs de la guerre, une cruelle captivité pour certains, et dont les douloureuses péripéties et les héroïques souffrances ne sont pas près de s'oublier, ont continué à servir dans l'armée française, où, bien qu'épuisés par les privations et par les fatigues physiques et morales, ils ont encore combattu soit contre la commune de Paris, soit pour réprimer l'insurrection en Algérie, alors qu'ils pouvaient être libérés en vertu du traité inique de Francfort, qui les a si brutalement arrachés à la France, leur mère Patrie. Voilà certes de braves volontaires ( en bien petit nombre aujourd'hui ) qui mériteraient une distinction ou tout au moins un diplôme d'honneur, témoignage de leur patriotisme, diplôme que les petite enfants de ces Vétérans exhiberaient avec une légitime fierté et avec orgueil ils diraient : « Notre grand père était protestataire ! » Je suis certain, M. le Directeur que vous plaiderez en faveur de cette catégorie de volontaires, votre plaidoyer aura sans nul doute le puissant appui de notre bien respecté Président Général, mon très distingué compatriote.

S. HABERLACH,
Vice-président de la 489e Section.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 52 du 29 décembre 1907, page 14.

 

La Médaille de 1870-1871

Voici le texte de l'appel de M. le capitaine Barraud, président de la Section des Vétérans de Cognac, dont nous avons parlé dans un de nos précédents numéros :

Monsieur le Député,

Dans sa séance du 19 février, le Sénat à sanctionné un crédit qui avait été voté par la Chambre des Députés, le 8 décembre 1906, et dont le but est de décerner une médaille commémorative aux engagés volontaires mineurs de 1870 — et cela grâce au concours si dévoué du général Langlois. Cette médaille est légitimement revendiquée depuis bien des années, avec une ténacité des plus louables, par tous les groupements d'Anciens militaires, comptant dans leurs rangs des Combattants de 1870-71 ; et nous ne comprenons pas pourquoi, en reconnaissant le bien fondé de cette revendication la Chambre et le Sénat n'aient songé à n'attribuer cet insigne qu'aux volontaires de 1870.

Les engagés volontaires mineurs forment une Association de 700 Membres environ, sous la présidence d'honneur de M. Régnier un jeune engagé volontaire de 16 ans aux francs-tireurs de Neuilly, qui a accompli pendant toute la durée de la guerre des actes d'héroïsme et de bravoure dans les armées de la Loire et de l'Est. Et si nous examinons la liste nominative, nous y remarquons qu'une jeune fille de 16 ans, Mme veuve Hirch, aujourd'hui institutrice de Paris, chevalier de la Légion d'honneur, était ambulancière pendant toute la durée du siège de Belfort ; 23 des membres de l'Association appartiennent encore à l'armée active et 29 à l'armée territoriale, 8 sont sénateurs et députés, notamment MM. Paul Strauss, Schneider, Henri Cochin, Gaudin de Villaine ; 4 médecins, 3 pharmaciens, 1 garde-champêtre, une dizaine de cultivateurs, le maître coiffeur de la Comédie-Française, 85 commerçants, 60 ouvriers d'arts, 37 journaliers, un directeur de cirque, M Corvi, etc., etc., et le benjamin de tous ces gamins héroïques est M. Montaron, le chef de cuisine du Jockey-Club de Paris, qui, âgé de 11 ans et trop jeune pour porter son bagage militaire, fut incorporé comme infirmier dans les Mobiles de la Loire, sous les ordres du docteur Marchand. Je pourrais citer encore M. Payau, directeur de la prison Saint-Lazare.

Certes, nous reconnaissons avec les pouvoirs publics que tous ces engagés volontaires au-dessous de 20 ans et dont le nombre peut être évalué à 4.000 environ d'après les documents du ministère de la guerre, ont bien mérité de la patrie, en donnant en cette circonstance si douloureuse, un excellent exemple de patriotisme aux générations à avenir. Mais tous ceux qui, sous les armes pendant l'année terrible, ont combattu pour la défense du territoire et l'honneur de la France, doivent-ils être réputés indignes de porter sur leur poitrine cet insigne, attestant de leur bravoure, de leurs souffrances, qu'ils légueraient à leurs petits-enfants comme un souvenir précieux.

Il ne peut pas y avoir de distinction entre tous les combattants de 1870-71, et les engagés volontaires ne peuvent être mieux traités que les soldats des Armées du Rhin, de la Loire et de l'Est, que ces héros malheureux de Sedan, où l'élite de nos vieilles armées a dû capituler par suite de l'incurie du commandement suprême, prendre le chemin de l'exil et subir toutes les horreurs de la captivité dans les forteresses prussiennes.

D'ailleurs, le nombre de ces combattants de 1870 n'est pas aussi considérable qu'on le suppose bien. Il décroît chaque année dans la proportion de 80 % et si nous consultons les Annales de la Société des Vétérans, nous remarquons que parmi les 340 mille inscrits sur ses contrôles, 155.264 appartiennent à cette catégorie de combattants de 1870, auxquels elle doit servir annuellement une modique pension de 50 fr, après 10 années de sociétariat, pour un capital versé de 120 francs, produisant l'intérêt à 4 %.

Si nous nous reportons aux calculs des actuaires et aux tables de la mortalité, nos 155.264 Vétérans seront réduits à 88.264 en 1912, c'est-à-dire que, dans un laps de temps de 5 années, ils auront subi une véritable hécatombe de près de la moitié de leur effectif actuel. C'est une constatation peu réconfortante devant laquelle nous devons malheureusement noua incliner.

Le gouvernement démocratique qui nous régit ne saurait refuser cette satisfaction toute morale aux derniers survivants de l'époque néfaste, et il peut le faire sans obérer sensiblement ses finances, car leur nombre décroît chaque année d'une façon décevante. En effet, qu'y aurait-il de plus beau que cette chère médaille, ce souvenir d'un passé douloureux ; ah ! dans la famille, elle occuperait la place d'honneur depuis la chaumière du laboureur jusqu'aux somptueux appartement bourgeois : le même respect la suivrait partout, ce serait une émulation au patriotisme pour nos enfants et petits-enfants, avec ce bout de ruban aux trois belles couleurs de France.

Cet acte réparateur d'un trop long oubli aurait en outre l'avantage considérable d'opposer aux doctrines antimilitaristes, si scandaleusement émises par des lâches, indignes de la qualité de Français, l'intention formelle du gouvernement de fortifier, de relever le patriotisme si fortement battu en brèche et de réagir contre les théories décevantes d'un cabotin criminel qui, lui, ose prôner la désertion devant l'ennemi.

En conséquence, tous nos vieux soldats sollicitent et vous prient instamment, Monsieur le Député, de vouloir bien appuyer leurs revendications si légitimes auprès des pouvoirs publics, en employant toute votre influence et en joignant tous vos efforts à ceux de votre dévoué collègue de la Vendée, Monsieur Guillemet qui, au mois de février dernier, a déposé sur le bureau de la Chambre des députés un projet de loi relatif à l'institution d'une médaille commémorative pour tous les combattants de 1870-71 indistinctement, et dont le texte est ainsi formulé :

Messieurs,

Depuis longtemps déjà, les combattants de 1870-71 insistent pour que le Parlement leur accorde une médaille commémorative, non pas de la défaite, mais des efforts qu'ils ont fait pour défendre l'intégrité du territoire. Beaucoup ont été blessé et ont négligé de faire établir des certificats d'origine de blessure, tous ont fait leur devoir, et vraiment le parlement ne peut leur refuser une satisfaction qui est toute morale. Il ne ferait, en cela qu'imiter les nations voisines, qui ont accordé des médailles à leurs soldats vaincus après Iéna et Sébastopol, pour rendre hommage à leur vaillance à leur courage malheureux. Et d'ailleurs, serait-ce la médaille de la défaite que celle qui serait accordée aux soldats de Coulmiers, de Bapaume et de Villersexel ? La ville de Belfort n'a-t-elle pas élevé un monument à ses vaillants défenseurs, avec cette mention : « Gloria Victis ? ».

J'ai l'honneur, en conséquence, de soumettre à la Chambre la proposition de loi suivante :

ARTICLE UNIQUE. — Une médaille commémorative sera accordée à tous les Combattants de la guerre de 1870-71.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 10 du 20 mai 1909, page 5.

 

COMMISSION
de la Médaille Commémorative de 1870-1871

La Commission de la Médaille Commémorative 1870-1871 s'est réunie au Siège Social, le jeudi 13 mai, à cinq heures du soir, sous la présidence de M. J. SANSBŒUF. Président Général de la Société. Etaient présents : MM. SANSBŒUF, de COURCY, Lieutenant-Colonel DÉRUÉ et MESNARD. Excusés : MM. les Capitaines DE GRAND-BOULOGNE et MASSARD.

M. le Président Général a donné lecture à ses collègues des communications reçues de diverses Sections, au sujet de la Médaille commémorative réclamée par les Vétérans de 1870-1871. Il a lu le texte des propositions de lois déposées à la Chambre des Députés et le compte-rendu des séances où ces propositions ont été discutées. « Le moment est venu, a dit M. SANSBŒUF, où il faut se mettre résolument à l'œuvre. Il faut que le pétitionnement soit commencé dans nos Sections, dès la prochaine assemblée générale, afin que le Parlement puisse être saisi de la demande des Vétérans dès la rentrée ennovembre prochain. »

Les Membres de la Commission ont partagé cette manière de voir qui sera soumise au Conseil Général dans la séance du même jour.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 11 du 5 juin 1909, page 1.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

– Pétitionnement –

Nous avons reçu de beaucoup de nos Camarades des lettres de félicitations pour notre initiative du pétitionnement en faveur de la Médaille de 1870-71. Nous les remercions sincèrement de leur encouragement. Ils peuvent être certains que le Conseil Général de la Société ne négligera pas cette question, dont la réalisation tient à cœur à la plupart de nos Camarades.

Maintenant que les Sections sont en possession des feuilles de pétitionnement, nous prions MM. les Présidents et Secrétaires de s'occuper activement des signatures et de les renvoyer au Siège de la Société, après avoir eu soin de faire légaliser la signature du Président de la Section.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 24 du 20 décembre 1909, pages 14, 15, 16, 17 et 18.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

La réunion des anciens combattants de 1870-71 que nous avions annoncée dans le précédent numéro du Vétéran a eu lieu le jeudi 9 décembre, à neuf heures du soir, dans la salle des Fêtes du Petit Journal, 21, rue Cadet à Paris. A cette réunion avaient été conviés les membres du Comité d'honneur de notre Société, nos camarades des Sections, les Présidents et membres des Associations militaires et patriotiques. Une invitation spéciale avait été adressée à tous les Sénateurs et Députés sans distinction de parti.. Dès neuf heures du soir la grande salle des Fêtes du Petit Journal, où les Vétérans avaient tenu leur première assemblée de Délégués en 1903, s'emplissait de Vétérans, de Combattants et de membres des Associations conviées à cette réunion.

A neuf heures un quart, la salle était archicomble. Sur l'estrade, placé au milieu et sur l'un des côtés de la salle avaient pris place M. J. Sansbœuf, Président Général de la Société des Vétérans des Armées de Terre et de Mer, qui présidait la réunion, assisté de M. Charles Prevet, ancien sénateur, Directeur du Petit Journal et des membres du bureau du Conseil Général des Vétérans : MM. le Commandant Galland, le Capitaine Pougy, Vice-Présidents Généraux ; J. Hussenot-Desenonges, Secrétaire Général, et Lieutenant X. de Borssat, Secrétaire adjoint. Autour du bureau on remarquait MM. Tournade, Argeliès, Haguenin, Ossola, Georges Berry, Députés ; les Présidents des diverses Sociétés d'anciens combattants.

En face de l'estrade une place avait été réservée aux autres membres du Conseil Général de la Société des Vétérans, aux membres de la Commission du Contrôle Général et du Comité judiciaire de la Société, ainsi qu'aux membres de la Presse. Des drapeaux et des écussons décoraient avec goût la salle que de grands lustres éclairaient magnifiquement. Ils jetaient leurs feux sur l'ensemble imposant des têtes grises et blanches des anciens combattants qui composaient l'immense majorité de l'assistance. Le calme et la dignité de l'assemblée, non moins que le nombre de ses membres, donnaient une impression de force véritablement saisissante, dont ont été frappées toutes les personnalités qui de l'estrade ont pu la dominer et l'embrasser d'un regard.

M. J. Sansbœuf, en sa qualité de Président de l'Assemblée, prit le premier la parole et prononça le discours suivant :

Discours de M. J. Sansbœuf
Président Général de la Société des Vétérans des Armées de Terre et de Mer 1870-71.

Messieurs, Chers Camarades,

Je tiens avant toute chose à remercier cordialement, au nom du Conseil général de la Société des Vétérans des armées de terre et de mer 1870-1871, MM. les membres du Parlement, sénateurs et députés, MM. les officiers généraux, membres de notre « Comité d'honneur », MM. les Présidents et les membres des sections des Vétérans et des Associations militaires et patriotiques qui ont répondu à notre appel.

En prenant l'initiative de cette réunion, le Conseil général de la Société des Vétérans s'est inspiré d'un noble sentiment : celui de faire aboutir la création d'une Médaille commémorative pour les combattants de la guerre Franco-Allemande. La question de la Médaille de 1870-1871 n'exige pas de bien longs développements. C'est une question où la politique n'a rien à voir ; elle peut et doit rallier tous les partis ; elle est d'ordre essentiellement national. Il ne s'agit point, comme on l'a dit parfois, de glorifier nos revers, mais de commémorer une époque douloureuse et féconde en héroïsme et en enseignements. Si grande, en effet, qu'ait été notre défaite, il n'est pas une seule des armées que nous ayons opposées à l'envahisseur, qui ne se soit efforcée de résister avec vaillance et n'ait à son actif des faits d'armes dignes d'admiration.

C'est d'abord à l'armée du Rhin : Wissembourg, où l'on vient d'élever un monument aux soldats français qui sont morts pour la patrie ; c'est Forbach, Spickeren, Frœschwiller, Reichshoffen. A l'armée de Châlons, c'est le combat de Beaumont, c'est le calvaire d'Illy et le général de Gallifet, répondant à qui lui demande de charger une fois encore : « Tant qu'il en restera un ! », charges héroïques et légendaires qui arrachèrent à l'empereur Guillaume ces paroles : « Ah ! les braves gens ! ». C'est le commandant Lambert insistant avec une poignée de combattants jusqu'à la « dernière cartouche ». Autour de Metz, c'est Borny, Gravelotte, Rezonville, Saint-Privat, Noisseville où l'on a érigé, l'an dernier, un Monument aux Combattante de l'Armée de Metz.

Puis, c'est le tour des armées improvisées à l'appel du Gouvernement de la Défense nationale : la première armée de la Loire, à Beaune-la-Rolande, à Orléans, à Patay, à Loigny, où le 15e corps, ayant affaire à deux corps allemands considérables, celui de Von der Thann et celui de Frédéric-Charles, parvint quand même à les culbuter et à coucher sur ses positions et au prix de quels sacrifices ! Pour une seule compagnie, sur 300 hommes, il y eut 210 tués et 7 officiers ! Puis, c'est Coulmiers, Artenay, la reprise d'Orléans.

Avec la seconde armée de la Loire, c'est la bataille du Mans où s'illustra le général Chanzy. C'est Bapaume Saint-Quentin, à l'armée du Nord avec le général Faidherbe. A l'armée de l'Est, c'est Nuits et Dijon, Héricourt, Montbéliard et Villersexel. Faut-il rappeler la résistance mémorable de nos villes ouvertes : Rambervillers, Châteaudun ? Celle de nos places fortes : Strasbourg, Schlestadt, Neuf-Brisach, Verdun, Bitche, Belfort ? Faut-il rappeler le siège de Metz : celui de Paris avec le Bourget, Epinay, Châtillon et Buzenval ? Faut-il rappeler enfin les noms des héros qui s'illustrèrent sur ces champs de bataille : les Abel Douai, les Margueritte, les d'Aurelle de Paladine, les Chanzy, les Faidherbe, les Denfert-Rochereau et tant d'autres que l'histoire a couchés sur le Livre d'or de nos gloires nationales ?

« De tous ces noms-là, nous avons étoilé d'espérance les voiles de deuil dans lesquels la France avait enseveli sa douleur et risquait de laisser étouffer son énergie. Nous en avons glorifié nos rues, nos promenades, nos places publiques. Nous avons évité ainsi de nous engourdir dans la fausse honte ; nous avons ranimé les courages et nous leur avons donné la terre entière pour champ d'expansion créant ainsi des colonies et donnant à la Patrie des ailes nouvelles qui lui permettent de planer sur le monde en compagnie des peuples de premier rang. »

Ainsi s'exprimait le vaillant rédacteur du « Petit Journal », M. René Lebaut, que je tiens à saluer ici et à remercier en votre nom à tous, des articles si intéressants et émouvants qu'il a écrits, ces derniers temps dans le journal que je viens de citer, au sujet de la question qui nous intéresse. ( Applaudissements. )

Et M. Lebaut continuait ainsi : « Tout cela n'est pas l'œuvre exclusive de ceux qui dorment dans les ossuaires et dans les mausolées qu'avec justice et reconnaissance nous leur avons élevés. Si nous connaissons les hauts faits de ceux-là, si nous savons leur courage, nous le savons par le témoignage de ceux qui luttèrent à leurs côtés et dont l'esprit de sacrifice ne fut pas moindre que le leur. Ceux-là on les oublie trop depuis 40 ans. Continuer de les oublier, leur refuser plus longtemps la modeste distinction qu'ils sollicitent, serait un véritable déni de justice. Le Parlement français et le Gouvernement ne se montreront plus longtemps insensibles à la pressante sollicitation des survivants de l'Année terrible. »

« Il ne faut pas oublier disais-je, de mon côté, au Congrès des Vétérans en 1907, que nous sommes à trente-sept ans de la guerre. Ceux qui ont fait cette campagne ont gardé de cette époque douloureuse un inoubliable souvenir ! Beaucoup de nos camarades verraient avec joie ce souvenir se transformer en un signe apparent sur leur poitrine. Mais ce sera la « Médaille de la Défaite » nous a-t-on. dit ! Que l'on n'oublie pas qu'il y a des défaites qui valent des victoires et s'il y a des victoires qui se sont transformées en défaites, ce n'est pas la faute des soldats qui, partout et toujours, ont fait vaillamment leur devoir. » ( Vifs applaudissements. )

Et j'ajoutai : « La Médaille de 1870-1871 sera pour les combattants de la guerre franco-allemande la « Médaille du Souvenir » ; elle sera une satisfaction pour les uns, une consolation pour les autres. Elle sera un moyen d'honorer le courage malheureux, d'affirmer notre devise, de réveiller les énergies et de susciter des vainqueurs ! » ( Applaudissements. )

La question de la Médaille de la guerre franco-allemande a été posée à plusieurs reprises dans nos sociétés militaires et patriotiques et dans la presse. En 1903, elle a fait l'objet d'une proposition au Parlement. Cette proposition a été renouvelée en 1905, en 1906 et en 1908. Cette année encore. MM. Berry, Gallot et Maurice Barrés, députés, ont déposé un amendement par lequel ils proposent d'augmenter de 1.000 francs, à titre d'indication, le crédit du chapitre 3 du budget de la guerre, afin d'inviter une fois de plus le Gouvernement à présenter à la Chambre un projet pour la création d'une Médaille à décerner aux survivants de la guerre franco-allemande.

Nous souhaitons que cette procédure amène le résultat désiré. Il ne faut pas que le Parlement français inflige une nouvelle défaite aux combattants de l'Année terrible. ( Applaudissements. ) Il faut, au contraire, que leur vœu soit exaucé. Si l'on veut faire quelque chose pour nous, il faut qu'on le fasse maintenant, car nos rangs s'éclaircissent chaque jour ; il ne faut pas attendre que nous soyons tous descendus dans la tombe, pour reconnaître la vaillance et le courage que nous avons mis au service de la patrie à une époque douloureuse de son histoire ! ( Applaudissements. )

Les combattants de Waterloo ont vu leur poitrine ornée d'une médaille commémorative. La Russie, après Sébastopol ; l'Autriche, après Sadowa, ont créé successivement une médaille pour les combattants de 1854-1855 et de 1866. Pourquoi donc le Gouvernement français refuserait-il aux survivants de la guerre franco-allemande la Médaille qu'ils sollicitent et qu'ils ont bien méritée, eux aussi ?

La question de la Médaille de 1870-71 est aujourd'hui posée devant l'opinion. Nous demandons respectueusement au Gouvernement et au Parlement de la résoudre dans le sens affirmatif. Je sais que bien des objections seront encore faites et qu'il faudra vaincre bien des résistances ; mais vous êtes tenaces et vous obtiendrez votre médaille. « Persévérez », nous disait le Ministre de la Guerre, l'an dernier, au banquet de Saint-Mandé. Eh bien, mes chers camarades, persévérez et agissez. Il faut faire le siège de la place forte qu'est le Parlement. Vous le ferez, j'en suis sûr, car vous êtes la volonté personnifiée par votre passée vous êtes aussi le nombre, agissant, et résolu. Jusqu'à présent, les partisans de la Médaille de 1870-71 sont allés à la bataille en ordre dispersé. Aujourd'hui, c'est une bataille rangée qu'il faut livrer. La Société des Vétérans est heureuse de vous apporter son puissant concours. ( Applaudissements. )

Si la médaille commémorative que nous réclamons doit nous être accordée il faut qu'elle le soit avant la fin de la présente législature. Pour cela, il est nécessaire que chacun d'entre vous, dans sa sphère d'action, s'empresse d'exercer son influence et sa volonté sur ceux qui ont le pouvoir et le devoir de nous donner satisfaction. Ce n'est pas au moment où des énergumènes essaient d'affaiblir le sentiment national qu'il faut reculer devant un effort qui doit faire aboutir notre légitime revendication. La Médaille de 1870-71, en même temps qu'elle sera l'affirmation d'un douloureux passé, sera pour les jeunes générations un enseignement utile et qu'elles ne doivent pas méconnaître.

En terminant, je tiens a remercier, au nom des combattants de 1870-71, tous les amis connus et inconnus qui ont déjà donné leur avis public et favorable sur la question qui nous intéresse. Je tiens à remercier, en particulier, M. Prevet pour le précieux concours qu'il nous a donné, en mettant à notre disposition l'immense publicité du « Petit Journal » qui a fait paraître plusieurs articles très remarqués de M. René Lebaut, articles que nous vous engageons à lire et à relire parce qu'ils sont des plus intéressants. ( Applaudissements. )

Aux membres du Parlement ici présents, je dirai respectueusement : Ne refusez pas plus longtemps le modeste souvenir que sollicitent ceux qui ont eu l'honneur de porter les armes contre l'ennemi et qui ont fait vaillamment leur devoir il y a 40 ans. Donnez-leur cette suprême satisfaction qu'ils réclament et qu'ils ont bien méritée ; ils vous en seront reconnaissants. Et, en parlant des combattants de 1870, je ne pense pas seulement aux présents dans cette salle et aux absents qui sont en France, je pense aussi à nos anciens frères d'armes d'au delà des Vosges. Ceux-là aussi recevront avec joie cette médaille qu'ils porteront avec fierté sur leur poitrine, au milieu de l'étranger qui foule leur sol natal ! ( Applaudissements vifs et prolongés. )

M. le Président. — Je vais maintenant donner la parole à ceux d'entre vous qui auraient des observations à nous présenter au sujet de la création de la médaille. Mais je demanderai, dès maintenant, à tous les orateurs de bien vouloir se renfermer dans l'ordre du jour de notre réunion. Un de nos camarades, M. Mourrut ( de Narbonne ) me demande la parole pour vous entretenir de la question des anciens soldats de 7 à 14 ans de service, qu'il a classés sous la dénomination des « Oubliés ». La question est certainement des plus intéressantes, mais je dois faire remarquer à notre camarade qu'elle n'est pas à l'ordre du jour de cette réunion. Il me paraît difficile, sinon impossible de laisser discuter une question autre que celle qui est portée à l'ordre du jour. Sur ce point, nous devons être tous d'accord. Je laisserai à chacun la plus entière liberté d'exposer ses idées sur la question de la médaille de 1870-71, mais il est impossible de laisser égarer la discussion sur d'autres questions qui n'ont pas été prévues. Je ne puis donc à mon grand regret accorder, dès maintenant, la parole au camarade Mourrut. ( Très bien ! très bien ! )

M. le Président. — La parole est à M. Lepetit d'Osmanville, Président de l'Association des Anciens Prisonniers de guerre.

Discours de M. Lepetit d'Osmanville

Je veux simplement faire une déclaration au nom de l'Association des anciens prisonniers de guerre de France et des Sections d'Alsace-Lorraine réunies.

Je viens apporter l'adhésion de notre Association et notre concours à nos excellents camarades de la Société des Vétérans des Armées de Terre et de Mer dans leur campagne pour l'obtention de la médaille commémorative de 1870-1871. ( Applaudissements. ) J'ai aussi à apporter notre tribut de reconnaissance à ceux qui servent avec tant de dévouement la cause des anciens combattants, en particulier au grand organe qu'est le Petit Journal, lequel, par sa vaillante campagne, est maintenant devenu le porte-parole reconnu des anciens combattants de 1870-1871. Dans ce témoignage, nous associons le nom de son dévoué rédacteur, M. René Lebaut. ( Applaudissements. )

Notre tribut de reconnaissance est également acquis aux membres du Parlement qui apportent leur concours au triomphe de notre cause. Je puis les assurer, au nom de notre Association que, tant à Paris que partout ailleurs où nous comptons des sociétaires, leurs noms seront retenus par nous et que nous saurons, le cas échéant, traduire notre gratitude par des actes appréciables en leur faveur. ( Applaudissements. )

M. le Commandant Tournade, député de Paris, prend à son tour la parole et prononce le discours suivant :

Discours de M. le commandant Tournade
Député de Paris

Messieurs, et, permettez-moi d'ajouter, mes chers camarades, car je suis ici non seulement comme membre du Parlement, mais encore au titre de Vétéran, je déclare tout de suite que je n'ai pas qualité pour parler au nom des membres du Parlement. Nous ne sommes qu'un petit nombre sur cette estrade. Il faut l'attribuer, non pas à l'indifférence de mes collègues pour votre cause, mais uniquement à la fatigue que leur imposent les multiples séances que tient la Chambre en cette fin de législature.

Quant à moi, ancien Vétéran, du nombre peut-être aussi de ces « oubliés » dont voulait parler tout à l'heure un de nos camarades et qu'on n'oublie peut-être pas autant qu'il le croit, ancien prisonnier de guerre également, je m'associe, à tous ces titres, à toutes les paroles qui viennent d'être prononcées. A cette époque où se répandent des théories antimilitaristes, il serait en effet nécessaire que, sur la poitrine de tous ceux qui ont combattu en 1870, connus ou inconnus, illustres ou obscurs, on pût voir le signe du dévouement et de l'héroïsme. ( Applaudissements. )

Comme vous le disait notre Président, ce serait un excellent enseignement pour la génération qui n'a pas connu l'Année terrible, les horreurs de la défaite, l'indignation du vaincu obligé de rendre ses armes au vainqueur. C'est pourquoi il est bon, que nos enfants qui n'ont pas connu ces heures tragiques puissent de temps en temps voir dans la rue un homme qui a combattu en 1870 et qu'ils s'inclinent devant lui.

Le mouvement en faveur de la création de la médaille n'est pas un mouvement factice. J'ai assisté, au Parlement, à des discussions où on nous objectait : Vous voulez-donc porter la « médaille de la défaite ! » Mais qui donc oserait dire rue l'Association des anciens cuirassiers de Reichshoffen n'éveille pas d'autre idée que celle de la défaite ? Tous ces anciens combattants qui sont allés au feu ensemble, s'honorent de former des associations. Puis, je ne sache pas que la guerre de 1870 ne compte pour nous que des défaites. Il y a eu aussi des victoires. Et il est impossible de faire la distinction entre celui qui a participé à un combat heureux et un autre combattant de 1870 qui n'a pas eu le même bonheur. Cette distinction serait une injustice.

D'autres nations ont institué des médailles pour commémorer des campagnes qui n'ont pas été des victoires. La campagne de 1870 sera malgré tout, dans notre histoire, une page d'héroïsme et ce n'est pas parce que nous avons été vaincus que nous devons nous refuser à rappeler les nombreux actes de vaillance qui ont été accomplis il y a quarante ans. ( Applaudissements. )

On nous a aussi opposé la question budgétaire ; on a dit que la création de cette médaille entraînerait une dépense considérable. Cette objection tombe pour celui qui entre dans cette salle. Habitué des réunions publiques, je vous assure que ce n'est pas sans émotion que je regarde cette assemblée où les têtes blanches sont presque la totalité. Cela démontre que les anciens combattants de 1870 ne peuvent plus être très nombreux et leurs rangs s'éclaircissent tous les jours ; en sorte qu'actuellement la dépense pour l'institution de cette médaille sera à peu près insignifiante.

Pour obtenir satisfaction, nous avons encore à lutter. Cependant, je dois constater qu'il se produit en notre faveur un revirement. Beaucoup qui étaient autrefois irréductibles, se rallient à nous parce qu'ils comprennent la nécessité de l'enseignement que ne manquera pas de donner cette médaille à nos jeunes générations. Ah ! s'il n'y avait pas cette poussée d'antimilitarisme à laquelle nous assistons, peut-être n'insisterions-nous pas autant. Mais à l'heure actuelle. il ne faut pas craindre de se montrer.

C'est dans cet esprit que nous faisons notre propagande parmi nos collègues du Parlement. A vous de faire la même propagande au dehors ; à vous de convaincre dans vos circonscriptions vos représentants, comme nous en avons, nous, déjà convaincu un certain nombre et non des moindres. J'espère que cette fois nous ne nous heurterons plus aux mêmes objections, ni à la même hostilité. Autant, je pouvais autrefois excuser les hésitations et les réticences de certains de nos collègues, autant aujourd'hui je ne les comprendrais plus. Je suis convaincu qu'avant le vote de la loi de finances, c'est-à-dire avant la fin de janvier prochain, vous ferez de votre côté la propagande nécessaire et j'espère que cette fois nous triompherons. Nous pourrons enfin porter cette médaille que certains voudraient appeler la médaille de la défaite, mais que j'appellerai la médaille de l'honneur, la médaille de la souffrance, la médaille de l'héroïsme ! ( Vifs applaudissements. )

Comme M. le commandant Tournade terminait son discours, M. Daudin se leva face à la tribune et conquérant tout de suite l'attention de la salle, raconta comment étant franc-tireur, il avait par deux fois vu la mort en face.

M. Daudin. — Je ne voulais pas demander la parole, dit-il, je voulais simplement rappeler à notre Président que je suis un des premiers inscrits à la Société des Vétérans. Je suis peut-être le seul survivant des anciens « Francs-Tireurs de la Presse ». Au Bourget, mes Camarades et moi, prisonniers, nous étions au mur ; le peloton d'exécution se tenait face à nous, l'arme épaulée, l'officier allait lever son sabre ; j'ai vu la mort dans les yeux, mais tout à coup on cria : « Bas les armes ! » Une sonnerie de clairon retentit nous avons été sauvés.

Des bravos éclatèrent pour saluer le camarade Daudin qui avait connu de si près le feu de salve des troupes allemandes.

M. Charles Prevet prit alors la parole et, d'une voix forte et énergique qui s'entendait jusqu'aux extrémités de l'immense salle, prononça le discours qu'on va lire :

Discours de M. Prevet
Directeur du « Petit Journal »

Messieurs, .permettez-moi d'abord de remercier votre président qui a prononcé à mon adresse et à l'adresse de mon collaborateur M. Lebaut, des paroles qui nous sont allées au cœur. Je vous remercie tous d'avoir fait au Petit Journal l'honneur de vous réunir chez lui ce soir. Si nous défendons avec énergie et avec la volonté de réussir l'œuvre que vous poursuivez, c'est que nous y voyons non seulement une idée de justice, mais encore un intérêt pour notre pays et pour la République. ( Applaudissements. )

C'est une œuvre de justice. N'avons-nous pas tous été émus en entendant tout à l'heure cet ancien combattant du Bourget nous raconter qu'il avait eu la mort dans les yeux ? Est-ce que tous ceux qui ont participé aux événements de 1870 ne méritent pas d'être honorés ? Le pays ne se le doit-il pas à lui-même ? N'est-ce, pas pour une nation, la suprême justice que d'honorer ceux qui se sont dévoués pour elle ? ( Applaudissements. )

Mais la justice n'est pas toujours ce qui triomphe dans les nations et souvent l'intérêt domine. L'œuvre que vous poursuivez est aussi profitable à l'intérêt même de notre pays. On parle beaucoup trop aujourd'hui chez nous de cette chose abominable et infâme qu'on appelle l'antimilitarisme. Puis, les jeunes générations qui n'ont pas vécu les heures que nous avons vécues, n'ont aucun souvenir de l'envahissement de notre pays ; elles sont portées à penser que l'on peut négliger les armements, la défense nationale, et que les heures douloureuses ne se reproduiront jamais plus. Il faut leur rappeler que le pays a été envahi et qu'il peut l'être encore. Pour le leur rappeler, il faut que la France vous marque d'un signe d'honneur qui, lorsqu'on vous verra dans la rue ou dans les réunions, fasse dire aux jeunes : « Voilà ceux qui ont fait leur devoir en 1870 ! Ils nous rappellent que la patrie a été envahie et que demain nous pouvons aussi être appelés à faire notre devoir comme eux. » ( Applaudissements. )

C'est donc pour le pays et pour la République un enseignements nécessaire. Il faut que cette médaille soit donnée à tous les anciens combattants de 1870. Est-il possible de faire entre eux une distinction ? Peut-on dire que celui qui s'est trouvé à tel combat a mieux fait son devoir que celui qui s'est trouve à tel autre ? Tous ceux qui, venant de tous les points du territoire, ont pris les armes et ont défendu le sol national, tous ont rempli également leur devoir. Vous êtes ceux qu'il faut marquer d'un signe glorieux et le Parlement qui va bientôt se séparer, se doit à lui-même, doit à la France et à la République, de vous désigner ainsi comme les défenseurs passés du pays. ( Applaudissements vils et répétés. )

Les applaudissements nourris qui accueillirent ces paroles étaient à peine calmés qu'une femme, la poitrine couverte de médailles, montait à la tribune. C'était Madame Galmache qui fit, elle aussi, la campagne de 1870, et qui venait au nom des femmes françaises réclamer la médaille du souvenir pour les défenseurs de la Patrie envahie.

Allocution de Mme Galmache

Messieurs et mes chers Camarades,

Je suis obligée de prendre la parole en cette circonstance. Lorsque je me suis fait inscrire à la Société des « Vétérans », j'ignorais absolument la question de la Médaille commémorative de 1870. Un jour j'ai vu cette proposition faite dans les journaux. Je suis journaliste moi-même et je dois dire que j'ai écrit à ce sujet un article dans lequel je disais que je ne comprenais pas qu'on demandât une Médaille commémorative de 1870. D'abord je trouvais que c'était trop tôt. Nous avions encore le cœur gros des souffrances que nous avions endurées.

Malheureusement, mon article eut un tel retentissement, que dans ma Section des « Vétérans », je fus blâmée. J'avoue que j'ai eu tort. Mon excuse était que j'ignorais alors la question. Le Ministre de la Guerre de l'époque a connu mon article et il en a même parlé en des termes un peu vifs. J'ai eu alors un véritable désespoir. Mais je suis heureuse aujourd'hui de réparer mon erreur involontaire, et je viens donner très volontiers mon adhésion à la Médaille de 1870. J'exprime le désir que cette Médaille soit accordée aussi à tous les ambulanciers qui ont servi sur les champs de bataille, car, eux aussi, ils l'ont bien méritée. ( Applaudissements. )

M. le Président. — Je remercie notre camarade, Mme Galmache, de ce qu'elle vient de dire. J'ajoute que les femmes de France ne seront pas de trop pour nous aider à réussir dans notre campagne en faveur de la médaille commémorative. Je suis persuadé que leur précieux concours ne nous fera pas défaut en pareille circonstance. ( Applaudissements. )

C'est que nous jouons une forte partie. Il y a dans le Parlement des éléments qui nous sont hostiles. Il faut les ramener à nous par la persuasion. Nous ne voulons exercer de pression sur personne, mais nous considérons que notre cause est juste et qu'elle doit réussir. La campagne telle qu'elle est menée par nos grandes associations militaires et patriotiques, ne peut pas et ne doit pas être pour nous une défaite.

Nous avons pris position devant l'opinion. Nous demandons à la presse de tous les partis de nous aider ; nous demandons à tous nos amis d'exercer une action efficace dans les milieux où ils peuvent se trouver. Il faut qu'avant la fin de la présente législature, la question de la médaille commémorative soit tranchée à notre avantage. Pour cela, il n'y a.pas une minute à perdre, MM. les sénateurs et les députés vont aller en vacances à l'occasion du premier de l'an. Il faut que nos camarades de toutes les Associations militaires et patriotiques, entrent en contact avec leurs représentants au Parlement, pendant la période de ces vacances. En ce qui concerne la Société des Vétérans, je puis vous promettre que le Conseil Général exercera une action aussi énergique que possible sur les présidents de nos Sections. ( Applaudissements. )

Nous ne faisons jamais de politique dans nos réunions. Mais la question de la médaille de 1870-71 que nous considérons comme une question d'ordre national, nous avons le droit de la poser ouvertement devant l'opinion publique et d'insister pour que satisfaction nous soit donnée. Nous réaliserons ainsi le rêve de plus d'un Vétéran. Si l'on veut faire quelque chose pour les anciens combattants de l'Année terrible, il faut qu'on le fasse maintenant. Il ne faut pas qu'on attende plus longtemps. — Il faut que, pendant les quelques années que nous avons encore à vivre, nous puissions porter vaillamment sur notre poitrine cet insigne qui sera un enseignement pour les nouvelles générations trop peu initiées à l'histoire de la guerre franco-allemande. ( Applaudissements. )

Je me souviens d'être allé il y a 25 ans, dans le Puy-de-Dôme faire une conférence. Les circonstances m'ont amené à visiter l'école normale de Clermont-Ferrand. J'ai été heureux, en entrant dans cette école, de voir au-dessus de la chaire du professeur le drapeau tricolore et au dessous un buste emblématique de l'Alsace faisant face à la carte de France avec la tache noire. Passez aujourd'hui dans cette école ; vous n'y verrez plus rien de tout cela. Et pourquoi ? Que s'est-il donc passé depuis ? Avons nous donc oublié les heures tragiques vécues il y a 40 ans ? Y a-t-.il quelque chose de changé ? Notre pays n'est-il donc-pas toujours démembré et la frontière de l'Est n'est-elle pas toujours ouverte et hérissée de canons et de baïonnettes ? Et derrière cette frontière temporaire, n'y-a-t-il pas toujours nos frères qui ont été la rançon imméritée de notre défaite ? ( Vifs applaudissements. )

Mes chers camarades, vous avez, à l'heure actuelle, une mission sacrée à remplir dans ce pays. Il faut veiller et il faut agir ; il faut lutter avec énergie contre ceux qui, sous prétexte d'humanité, cherchent à détruire l'esprit patriotique et le sentiment de sacrifice. Que voulez-vous faire avec des générations qui n'auraient plus le sentiment du devoir et de l'abnégation ? Quels sacrifices le pays peut-il leur demander dans l'intérêt général, si l'on ne fait pas pénétrer dans ces jeunes âmes le sentiment national ? ( Applaudissements. )

Mais, je parle à des convaincus. Vous tous qui êtes ici, vous savez ce qu'est votre devoir de citoyen et de Français et vous l'accomplissez au mieux. Dans le cas actuel, je vous y invite encore ; montrez-vous énergiques dans vos résolutions. Je le répète, on ne peut nous inflige une nouvelle défaite. Il faut que nous réussissions dans la campagne que nous ayons entreprise. Il faut que la médaille que nous sollicitons des pouvoirs publics nous soit accordée. Son sort est entre vos mains ; il dépend des efforts que vous ferez et de la propagande que vous organiserez pour faire triompher votre juste et légitime revendication. ( Vifs applaudissements. ) Et comme à toute discussion, il faut une conclusion, je vous propose l'ordre du jour suivant :

Les Présidents et Délégués des Sociétés militaires et patriotiques réunis le 9 décembre 1909, dans la salle des Fêtes du Petit Journal, invitent le bureau de l'Assemblée à demander au Gouvernement, au Parlement, aux Commissions du budget et de l'armée des deux Chambres, et sans qu'il en résulte aucune charge pour le budget, la création d'une Médaille commémorative pour les anciens combattants de 1870-1871.

Cet ordre du jour est adopté à l'unanimité moins une voix.

M. Guillut. — Mes chers camarades, Il y a quelques jours, pour la trente-neuvième fois je prenais la parole au nom des anciens défenseurs du Bourget dont vous avez entendu tout à l'heure un ancien franc-tireur de la presse qui a combattu avec nous. Je crois être le porte-parole de tous les combattants du Bourget en disant qu'ils adhèrent tous à la médaille commémorative. ( Applaudissements. )

M. le Président. — Je dois aussi rappeler que la Société des Vétérans a fait relier en plusieurs volumes les feuilles de pétitionnement qu'elle a fait circuler parmi ses membres. A l'heure actuelle, nous avons recueilli plus de 100.000 signatures parmi nos camarades. Je me permets d'insister auprès de MM. les Présidents des autres Associations militaires et patriotiques qui n'ont pas encore envoyé leurs adhésions de vouloir bien les recueillir et de nous les adresser, dans le plus bref délai possible. Le mois prochain, avant la discussion de la loi de finances, nous comptons constituer une délégation qui ira porter à la Chambre des Députés, les résultats de ce vaste pétitionnement.

Je vous propose dès maintenant que cette délégation soit composée des présidents de chacune de nos principales Associations militaires et patriotiques et du bureau du Conseil Général de la Société des «Vétérans ». Les membres du Parlement seront ainsi fixés sur l'état d'esprit des partisans de la médaille de 1870-1871, et je suis convaincu, que grâce à l'intervention énergique de tous, nous obtiendrons gain de cause cette fois. ( Applaudissements. )

Une voix. — La Société des « Engagés mineurs » est-elle représentée ici ?

M. le Président. — Parfaitement. Je dois ajouter que, dans notre pensée, aucune distinction ne doit être faite entre les combattants de 1870-71. Nous demandons la médaille pour tous ceux qui ont servi leur pays à cette époque, comme engagés mineurs, soit comme soldats de l'armée active ou de la réserve, soit comme volontaires, pendant la durée de la guerre. Je sais bien qu'à un moment donné, on a voulu établir des catégories pour les bénéficiaires de la médaille. Nous n'en sommes pas partisans, car le seul moyen de ne pas commettre d'injustice, c'est de donner satisfaction à tous ceux qui ont porté les armes contre l'envahisseur. Nous avons vu des pères de famille quitter femme et enfants pour marcher à l'ennemi ; nous avons vu également de jeunes camarades de 15 et de 16 ans, partir pour faire la campagne. Entre ceux qui se sont fait enrôler volontairement et ceux qui sont partis obligatoirement, nous ne devons pas faire de distinction. Si la reconnaissance doit aller à ceux qui ont pris les armes avant l'âge, elle ne doit pas être moindre à l'égard de ceux qui ont quitté leur famille pour courir sus à l'ennemi et sauver la Patrie en danger ! ( Vifs applaudissements. )

La séance fut levée à 10 heures et demie. Ainsi se termina cette belle réunion de patriotes et d'anciens militaires, qui, nous en sommes persuadés, laissera à tous la meilleure impression et aura la plus heureuse influence sur le succès final de la question de la médaille commémorative de 1870-1871.

A. V.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 1 du 5 janvier 1910, page 1.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

La question de la médaille commémorative de 1870-1871, qui préoccupe justement les anciens combattants la guerre franco-allemande, a fait un grand pas dans l'esprit du monde parlementaire et de l'opinion publique. La presse, et notamment le Petit Journal, la Patrie, l'Evénement, etc., et un grand nombre de journaux des départements, ont fait paraître d'intéressants articles à ce sujet.

Nous donnons dans le corps du numéro, page 19, la nouvelle lettre-circulaire que vient d'adresser le Conseil Général à toutes les Sections de notre Association, les invitant, d'une manière pressante, à agir sur leurs députés pendant les vacances parlementaires du 1er de l'an, en obtenant d'eux leur adhésion écrite à l'amendement à la loi des Finances, qui va être introduit au moment de la discussion du budget de la Guerre.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 2 du 20 janvier 1910, page 6.

 

Une lettre des vétérans de Wissembourg
( ALSACE )

M. J. Sansbœuf, Président Général, a reçu la lettre suivante des Vétérans de Wissembourg. Elle est suivie de 79 signatures de vieux soldats qui, il y a quarante ans, furent nos compatriotes et combattirent vaillamment sous le drapeau tricolore. Tous ont ajouté à leur nom celui du régiment dans lequel ils ont servi la France. On ne lira pas cette lettre sans émotion.

Wissembourg ( Alsace ), le 9 janvier 1909.

Les Vétérans de Wissembourg et environs à M. Sansbœuf, Président Général de la Société des Vétérans des Armées de Terre et de Mer 1870-71. Nous avons appris par les journaux que les Vétérans de 1870, résidant en France, sont sur le point de se voir décerner une médaille rappelant les faits d'armes de la campagne. Il est, en Alsace-Lorraine, nombre de vieux combattants et nous sommes de ceux-là, ayant lutté sous les plis du Drapeau français depuis août 1870 jusqu'à la conclusion de l'armistice. Nous avons fait tout notre devoir, au même titre que nos valeureux compagnons d'armes qui habitent la France. Nous aussi, nous recevrions avec plaisir la médaille de 1870.

Les soussignés, tous d'anciens combattants, font leurs les excellents arguments que les camarades de France ont fait valoir en faveur de la création de cette médaille commémorative. Ici, en Alsace-Lorraine, nous voyons chaque jour les anciens soldats allemands de 1870 arborer leurs insignes ; il y a aussi parmi nous les Vétérans de l'Allemagne du Sud qui portent tous fièrement la médaille de 1866, et cependant on sait que cette médaille rappelle une campagne qui fut malheureuse pour les armées auxquelles ils appartenaient. Il leur suffit d'être conscients d'avoir dignement rempli leur devoir. Parmi nous, anciens soldats français de 1870, qui sommes restés en Alsace-Lorraine, il en est de nombreux dont les corps mutilés rappellent la vaillance avec laquelle ils ont défendu le drapeau ; ils savent bien qu'une médaille, n'ajouterait rien à leur gloire anonyme. Cependant, ils la porteraient avec émotion, cette médaille, car elle rappellerait aux enfants que les pères ont payé leur tribut à la patrie.

Le Président délégué, HENRI HAUSSER.
1er Régiment d'Infanterie de ligne.

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La Médaille Commémorative de 1870-1871

La campagne que nous avons entreprise en faveur de la médaille commémorative de 1870-1871 a donné ses premiers résultats. A l'heure qu'il est plus de 200 Députés ont adhéré à l'idée de cette médaille et ont promis de la soutenir de leur vote lorsque la question viendra en discussion à la Chambre, à propos de l'amendement à la loi de Finances dont nous avons publié le texte dans notre précédent numéro.

Nous publions ci-après, la liste de MM. les Députés qui nous ont promis leur concours. Dès aujourd'hui, nous tenons à les en remercier et nous leur disons que les combattants de 1870-1871, qui ont la mémoire du cœur, sauront se souvenir de ce témoignage de sympathie et d'intérêt qu'ils veulent bien leur accorder en cette circonstance. Le Conseil Général de la Société des Vétérans est décidé à poursuivre très énergiquement cette juste et légitime revendication de la médaille du souvenir.

Nous constatons avec plaisir qu'à de rares exceptions près, nos Sections se sont empressées de seconder nos efforts. Nous leur sommes profondément reconnaissants des démarches qu'elles ont faites, des adhésions qu'elles ont provoquées et des communications si intéressantes que la plupart d'entre elles nous ont transmises. Si beaucoup de réponses de députés ont été catégoriques, quelques-unes d'entre elles nous paraissent sujettes à caution et nous prions nos camarades de ne pas se laisser circonvenir par des phrases ambiguës comme celles que voici :

..... Je m'occuperai très activement de la médaille commémorative...

..... Je ne perdrai pas de vue la question de la médaille commémorative...

..... J'examinerai cette intéressante question de la médaille lorsque le moment sera venu...

..... Je ne me prononcerai sur la question que lorsque le ministre aura donné son avis...

etc., etc.

Nos camarades reconnaîtront d'eux-mêmes que des réponses évasives comme celles qui précèdent ne sont ni une promesse ni un engagement de la part de leurs Députés. Il y a certains de nos camarades qui trouvent que la démarche que nous sollicitons d'eux auprès de leurs représentants est excessive. Tel n'est pas notre avis. Nous pensons, au contraire, que la question de la médaille de 1870, étant aussi nettement posée qu'elle l'est aujourd'hui, doit être résolue dans le sens affirmatif, pendant la présente législature, et, dès lors, il est indispensable que nous mettions en action toutes les forces dont nous pouvons disposer pour arriver au résultat désiré.

Lorsque le Parlement se sera prononcé, le Vétéran fera connaître à nos camarades les noms de MM. les Députés qui auront émis un vote favorable au projet de la médaille, de même qu'il publiera les noms de ceux d'entre eux qui auront voté contre l'amendement. Nous répétons à tous nos camarades sans distinction, Vétérans ou Sociétaires, que l'heure est solennelle. Chacun de nous doit comprendre que la Société des Vétérans des Armées de Terre et de Mer est engagée à fond dans cette question. Comme nous le disions, à la réunion du 9 décembre dernier, le Parlement français ne peut pas infliger, par son refus, une nouvelle défaite à ceux qui, il y a quarante ans, ont fait vaillamment leur devoir de soldat en sauvant l'honneur du Pays.

Il n'est pas de force au monde qui puisse arracher de nos âmes meurtries et inconsolées le souvenir de ce que nous avons vu et souffert pendant l'Année terrible ! Nous attendions une autre satisfaction que celle d'une médaille ; nous espérions prendre notre revanche sur l'ennemi qui nous avait surpris et qui avait déclaré à notre pays une guerre qu'il avait préparée de longue date. Il n'a pas dépendu de nous que nous ne fussions victorieux. Si la préparation matérielle avait été à la hauteur du courage et de l'énergie qui ont été déployés pendant cette longue et pénible campagne, nous n'aurions pas connu les horreurs de l'invasion et nous n'aurions pas eu à subir les affreuses conséquences du traité qui a mutilé la Patrie !

J. S.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 4 du 20 février 1910, pages 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871
devant la Chambre des Députés

Séance du 11 février 1910

Ainsi que nous le disons en première page de ce numéro, nous mettons sous les yeux de nos Camarades le compte rendu in extenso de la séance de la Chambre des Députés dans laquelle a été discutée la question de la Médaille de 1870-1871.

Journal officiel du 12 février 1910

CHAMBRE DES DÉPUTÉS

9e législature. — Session ordinaire de 1910

COMPTE RENDU IN EXTENSO. — 43. SEANCE

Première séance du vendredi 11 février

SOMMAIRE

BUDGET DE LA GUERRE

Chapitre 3 ( Matériel de l'Administration centrale ). — Amendement de M. Georges Berry et de plusieurs de ses collègues : MM. Georges Berry, Jourde, Louis Passy, Jules Dansette, Maurice Barrès, Mathis, Compère-Morel, le Ministre de la Guerre, Dejeante, le Rapporteur général, Louis Marin, Adoption, au scrutin.

PRÉSIDENCE DE M. ETIENNE

Vice-Président

La séance est ouverte à neuf heures.

M. le Président. — « Chap. 3. — Matériel de l'administration centrale, 305.320 fr.

Il y a sur ce chapitre, un amendement présenté par MM. Georges Berry, Gallot, Maurice Barrès, [...] et Willm. Cet amendement tend à augmenter le crédit du chapitre 3 de 100 fr., à titre d'indication, afin d'inviter le ministre de la guerre à présenter un projet à la Chambre pour la création d'une médaille à décerner aux survivants des combattants de la guerre de 1870-1871. La parole est à M. Georges Berry.

M. Georges Berry. — Messieurs, j'ai déposé sur le chapitre 3 du budget du ministère de la guerre un amendement qui tend à augmenter le crédit de ce chapitre de 100 fr., à titre d'indication, afin d'inviter le ministre de la guerre à présenter un projet à la Chambre pour la création d'une médaille à décerner aux survivants des combattants de la guerre de 1870-1871. Ce n'est pas la première fois que j'ai l'honneur de défendre cette proposition devant la Chambre. En 1888, au cours de la sixième législature, elle a été votée ici a quarante voix de majorité ; le Sénat l'ayant repoussée, la proposition est revenue devant vous et, comme le conflit menaçait de s'éterniser, le projet fut retiré. Aujourd'hui, je soutiens devant vous la même proposition. Je crois, en effet, que le moment est tout à fait opportun pour réclamer cette médaille.

Depuis 1898, un fait nouveau s'est produit : l'antipatriotisme est devenu en quelque sorte une religion ; il a ses grands prêtres ses desservants et ses disciples. Aussi je crois qu'il est nécessaire, par toutes les manifestations de patriotisme possible, de lutter, de protester contre de telles propagandes, qui font tant de mal à la France et à son armée.

M. Louis Ollivier. — Très bien !

M. Georges Berry. — En somme, que demandons-nous ? Nous demandons que les combattants de 1870 reçoivent une médaille commémorative, un souvenir de la patrie. Nous ne vous apportons aucun projet définitif et nous confions à M. le ministre de la Guerre le soin d'établir le texte de ce projet comme il l'entendra, si la Chambre veut bien l'y inviter. Il y a évidemment des difficultés, que je comprends : c'est pourquoi j'ai voulu laisser à M. le ministre de la guerre son entière liberté.

Quels sont ceux que nous visons ? Il y a plusieurs catégories de combattants ; il y a d'abord les enfants qui se sont engagés, à dix-huit, dix-sept, seize et même quatorze ans, et qui, déjà des héros, ont couru, quittant leur foyer, les caresses du père et de la mère, sacrifiant souvent leurs études et leur avenir, au secours de la patrie menacée. ( Applaudissements. )

Viennent ensuite les hommes que leur âge exemptait du devoir de porter les armes et qui n'ont pas hésité un instant à quitter femmes enfants, pour aller se battre sans souci des fatigues et des maladies qu'ils devaient plus facilement contracter que d'autres. Nous avons ensuite les oubliés. Les oubliés ! ceux de Belfort, par exemple. Vous vous souvenez que Belfort fut omis dans l'armistice. Des troupes nombreuses investirent alors la ville et, après une lutte acharnée, les Prussiens furent obligés de laisser sortir avec les honneurs de la guerre la petite garnison de Belfort. Qu'ont reçu les défenseurs de cette ville ? Rien ou presque rien. J'ai là des lettres du colonel Denfert-Rochereau sollicitant des récompenses en faveur de ces braves gens. Je n'ai rien obtenu, s'écrie-t-il, désolé. Ces braves gens ont été oublies.

M. Marc Réville. — Pas du tout !

M. Georges Berry. — Au moment des fêtes patriotiques de Belfort, un ministre de la guerre a voulu réparer cet oubli. Il proposa d'accorder un grand nombre de médailles militaires. On lui répondit que le décret de 1850 interdisait de donner ces médailles à tout ancien soldat n'étant pas amputé, ou ne se trouvant point, par suite de ses blessures, dans un état d'incapacité de travail absolue. Par conséquent, on dut renoncer à accorder ces récompenses.

M. Auriol. — Il est des blessés qui n'ont pas reçu la Médaille militaire.

M. Georges Berry. — C'est la troisième catégorie pour laquelle je vous demande la médaille de 1870. Enfin, il y a les hommes qui sont partis appelés par leur sort et qui se sont battus, avec un courage au-dessus de tous éloges. Croyez-vous, messieurs, que ces soldats improvisés ne soient pas dignes d'un souvenir, d'une distinction ? Une seule médaille a été accordée à ces anciens combattants. Elle a été, à Strasbourg, donnée au cuirassier-trompette du général Michel. Savez vous par qui ? Par l'empereur Guillaume, qui vous a montré l'exemple. ( Mouvements divers. ) Avouez que l'oubli, que l'injustice vis-à-vis des combattants de 1870 a par trop duré. ( Très bien ! très bien ! )

Je me souviens que le général André, alors ministre de la guerre disait, se refusant à accepter ma proposition : Messieurs, cependant il faut le dire, « tout a été perdu fors l'honneur ». Ainsi, voilà des hommes qu'on déclare avoir sauvé l'honneur de la patrie et à qui on refuse toute distinction honorifique ! Non, ce n'est pas possible. Cependant à mesure qu'on était plus ingrat vis-à-vis d'eux on les comblait davantage d'éloges. Tenez ! le rapporteur du Sénat disait à la fin de son rapport dans lequel il concluait au refus de la médaille : « Nous allons repousser la proposition qui nous vient de la Chambre. Cependant je reconnais très volontiers qu'on peut invoquer en faveur de la médaille le désir de rendre hommage aux qualités déployées par les combattants, au courage déçu par le sort des armes, à la résistance, à accablement des revers, à la lutte poursuivie jusqu'au bout avec une foi patriotique. Malgré cela, nous ne voulons rien leur donner. »

Et cependant chaque fois que la France, organise une campagne, elle crée une médaille pour ses soldats qui y prennent part. Ainsi lorsque dans les colonies nous envoyons des militaires qui, sans s'être rencontrés avec l'ennemi, ont néanmoins eu à supporter des fatigues dans un climat malsain et à la suite de marches et de contremarches, on leur décerne la médaille coloniale. Si en récompense de ces fatigues vous accordez une distinction à ces soldats, vous ne pouvez vraiment pas la refuser à ceux qui ont souffert ce que vous savez en 1870, à ces hommes qui, réduits souvent a marcher pieds nus parce que des trafiquants sans conscience leur ont livré des chaussures à semelles de carton, allaient presque nus, portant des vêtements déchirés, couchant dans la boue et dans la neige. Pouvez-vous vraiment dire à ces braves : vous avez eu beau souffrir, marcher, vous battre, vous n'aurez rien de nous. ( Très bien ! très bien ! )

M. Louis Ollivier. — Ils ont plus fait pour le pays que ceux qu'on décore du Mérite agricole !

M. Georges Berry. — Cette question doit aussi être envisagée à un point de vue pratique. Lorsqu'un combattant de 1870 se présente à une administration afin d'obtenir une place et qu'il se trouve en compétition avec un ancien militaire colonial, certainement c'est à tort, mais cela est, on accorde toujours la préférence au candidat qui porte un ruban à la boutonnière ; le premier se trouve ainsi placé dans une situation inférieure a celle du soldat revenant des colonies. N'y a-t-il donc pas là un côté pratique de la question qui mérite sérieuse réflexion ? ( Oui ! oui ! )

On a fait des objections pour l'institution de cette médaille. La principale consiste à dire : Vous allez décerner la médaille de la défaite. Si la médaille de 1870 est la médaille de la défaite, pourquoi a-t-on accordé des croix de la Légion d'honneur et des médailles militaires à certains des combattants de 1870 ? Portent-ils donc sur la poitrine la croix ou la médaille de la défaite ? Non ! n'est-ce pas ?

M. Chauvière. — Est-ce pour célébrer les deux sièges ?

M. Georges Berry. — Les deux sièges ?

M. Chauvière. — Oui, il y a eu deux sièges de Paris.

M. Georges Berry. — Je ne m'explique pas votre interruption, car beaucoup de vos amis, monsieur Chauvière, ont signé ma proposition. ( Très bien ! très bien ! à droite et au centre. )

M. Ghesquière. — Ceux qui ont combattu les Français seront-ils décorés ?

M. Louis Ollivier. — Nous demandons cette médaille pour ceux qui ont combattu contre les Prussiens.

M. Allemane. — Je ne la demande pas, moi, et j'étais de la Commune. ( On rit. )

M. Georges Berry. — Pourquoi ces hommages aux morts, pourquoi ces fêtes patriotiques, pourquoi ces mausolées superbes, pourquoi ces discours enflammés qui célèbrent les vertus des combattants tués en 1870, alors que vous refusez aux vivants une médaille commémorative de leurs belles actions ? Votre résistance me rappelle une parole de Leconte de Lille : « Les morts qu'on pleure sont plus heureux que les vivants qu'on oublie. » Pourquoi ces croix de la Légion d'honneur sur les armes des villes de Château-Thierry, de Châteaudun, de Verdun, de Paris et autres ? N'ont-elles pas été défendues, ces villes, par des combattants de 1870 ? Pourquoi ces drapeaux cravatés de rouge ? N'y avait-il pas eu de bras pour les soutenir ! N'y avait-il pas des hommes pour les défendre ? ( Très bien ! très bien ! sur divers bancs. )

Je ne comprends pas ces différences. Tous les pays sans exception, après des guerres où les soldats s'étaient conduits comme les nôtres en 1870, ont créé des médailles pour leurs armées. La Russie a fait frapper la médaille de Sébastopol ; la Prusse, la Croix de fer après Iéna, et cette Croix de fer a été rétablie en 1870 ; la médaille de Sadowa a été décernée par l'Autriche, Ferdinand VII décréta une médaille pour les défenseurs du sol envahi ; Christian IX, écrasé par l'Autriche et la Prusse en 1864, perdant comme nous deux provinces, a distribué à ses troupes une médaille de souvenir. Il y a enfin la médaille de Sainte-Hélène, qui a été portée avec honneur et orgueil par ceux qui l'ont reçue. ( Applaudissements. )

M. Jourde. — Comparez des choses comparables ! Ne comparez pas la médaille de Sainte-Hélène à la médaille pour les anciens combattants de 1870.

M. Georges Berry. — La médaille de Sainte-Hélène a été aussi la médaille de la défaite, la médaille de Waterloo.

M. Jourde. — Non ! monsieur Berry.

M. Georges Berry. — Il y a des défaites qui sont plus glorieuses que des victoires.

M. Jourde. — Ce n'est pas la question.

M. Georges Berry. — Rappelez-vous Léonidas aux Thermopyles. Souvenez-vous de Rome. Lorsque, dans ce grand empire, les armées défaites revenaient, le Sénat se portait au devant de ces glorieux vaincus et les remerciait de n'avoir pas désespéré de la patrie. Pourquoi n'agissez-vous pas de même aujourd'hui. D'ailleurs, que sont ces vaincus dont vous parlez ? Ils sont les soldats de Bapaume, de Villersexel, de Wissembourg, de Forbach, de Frœschwiller, de Reichshoffen, de Gravelotte, de Rezonville, de Saint-Privat, de Châteaudun, de Patay, de Coulmiers. Dans quelles conditions de nombre ont-ils été battus ? A Wissembourg, il y avait 4.600 Français contre 44.000 Allemands ! A Forbach, 20.000 Français contre 40.000 Allemands. A Saint-Privat, 100.000 Français contre 200.000 Allemands. A Frœschwiller, 33.000 contre 117.000. A Sedan, 90.000 contre 150.000. Et, à la suite de cette triste défaite, 20.000 soldats se réunissant, ont fait une trouée dans ce cercle de fer qui les entourait, allant offrir leurs armes et leur dévouement à la patrie. Et ces derniers inspiraient à un tribun dont on a souvent cité le nom ici les paroles suivantes : « Braves héros ! Votre exemple produira dans les cœurs qui chérissent leur patrie l'enthousiasme de l'admiration. » C'est Gambetta qui parlait ainsi.

M. Jourde, brave sergent en 1870, a évidemment compétence dans la question. Mais il me permettra de lui dire que des officiers qui, comme lui, se sont battus à ses côtés, ne sont pas tout à fait de son avis. Il connaît certainement les pages merveilleuses écrites par le colonel Thomas, qui n'était pas le dernier des combattants. Laissez-moi, messieurs, vous lire les paroles de cet officier supérieur répondant à cette accusation que ce que je demande c'est la médaille de la défaite. Ecoutez le colonel Thomas : « Ce n'est pas une défaite que la médaille rappellera, mais la mémoire d'une époque qui ne doit jamais être oubliée, car si un pareil souvenir est douloureux il n'en est pas moins honorable. Les hommes qui ont combattu avec héroïsme dans les premières armées, les troupes improvisées de la défense nationale, les citoyens qui, à cinquante ans et au-delà, abandonnaient intérêts et famille, les enfants qui quittaient à seize ans le toit paternel pour courir au drapeau, afin d'essayer de sauver la patrie, tous sont là pour l'attester et ne trouvent pas qu'il y aurait honte pour eux à porter sur la poitrine une médaille qui rappellerait des défaites, mais aussi des luttes surhumaines. »

Et plus loin : « Tous à cette époque, mettant de côté leurs mesquines haines de parti, s'entendirent avec un accord parfait pour refaire la patrie forte et puissante. Nos frontières se couvrirent de défenses formidables, l'armée se reconstitua. Sans provocation et sans faiblesse on attendit les événements, toujours prêt à combattre. »

Est-ce donc dans de telles conditions qu'une défaite peut être considérée comme une honte ? Et une médaille doit-elle sembler humiliante a porter ? N'est-il pas injuste de méconnaître les services pendus par des hommes qui se sont sacrifiés avec tant d'héroïsme ? Et n'est-il pas déloyal de laisser supposer que les combattants de 1870 ont manqué à l'honneur ? Si l'insigne que nous sollicitons ne doit pas rappeler une victoire aux ailes déployées, il dira le devoir accompli, le dévouement à la patrie, notre deuil et nos irréductibles espérances. ( Très bien ! très bien ! )

Il rappellera, chaque jour, aux générations nouvelles, ce qui a été fait et ce qui a été souffert pour conserver intact le sol sacré de la patrie, et ce qu'il reste à faine pour lui rendre sa gloire et sa grandeur, ses provinces violemment arrachées. Et évidemment ce n'est pas le soldat qui est vaincu. Lui se bat, il obéit ; c'est le commandement qui a toute la responsabilité de l'organisation de la défense. ( Très bien ! très bien ! )

Un sénateur, M. Maxime Lecomte, dans un article qu'il publiait hier, réclamait comme moi la médaille de 1870-1871 et il finissait son article en s'écriant : Non, ce ne sont pas les soldats qui sont responsables de la défaite. Les pauvres ont été vaincus une fois ; la Chambre va-t-elle les battre une seconde ? Mais, revenant à M. Jourde, je veux répondre à sa seule objection qu'il reproduira sans doute tout à l'heure. Il n'admet pas. disait-il, que la mère patrie battue s'enrubanne elle-même — c'est son expression. Eh bien, non, monsieur Jourde, ce n'est pas la mère patrie qui va s'enrubanner elle-même ; ce sont les enfants et les petits-enfants de ceux qui se sont vaillamment conduits en 1870, qui donneront à leurs pères et à leurs grands-pères le souvenir qu'ils attendent depuis longtemps. Ce sont les enfants et les petits-enfants de ces héros qui leur accorderont le brevet de civisme que nous réclamons pour eux et qu'ils ont si bien mérité ; ce sont les enfants et les petits-enfants qui veulent distinguer de ceux qui se sont embusqués dans des administrations, leurs ancêtres qui ont fait simplement mais brillamment leur devoir. Et ils honoreront ainsi le courage malheureux. ( Applaudissements. )

Et croyez-moi, cette médaille, en montrant que la France sait reconnaître les services rendus, infusera aux générations futures un nouveau et plus ardent patriotisme. ( Nouveaux applaudissements. )

Le Petit Journal, comme vous le savez, a fait une enquête, au sujet de cette médaille ; il a interrogé des officiers supérieurs et des hommes politiques. J'ai là des réponses fort intéressantes ; M. le général Langlois, notamment, tient à peu près le même langage que moi. Et il n'est pas non plus, monsieur Jourde, un combattant à dédaigner ! Parlant de cette médaille que d'aucuns nomment la médaille de la défaite, il rappelle qu'une médaille n'a pour but que d'honorer le mérite individuel, et non pas de commémorer une défaite. Il raconte, à propos de la médaille de Sainte-Hélène, un souvenir personnel. Son père, qui, à cette époque, n'avait assisté qu'à des batailles malheureuses, se sentit fier de porter toute sa vie, dans les cérémonies officielles, cette médaille de Sainte-Hélène à côté de la Légion d'honneur que ses services ultérieurs lui avaient valu.

Un grand nombre de collègues qui, en 1898, ont voté contre la création de cette médaille, s'en déclarent maintenant partisans. J'espérais que M. Jounde serait de ceux-là. Je me suis trompé. Cependant, il a devant lui des exemples qu'il aurait bien pu à son honneur imiter. M. Raymond Poincaré, qui était opposé à notre médaille, a changé aujourd'hui d'avis. Savez vous pourquoi ? Permettez-moi de mettre sous vos yeux la fin de la lettre où il explique la cause de son changement d'attitude. « Le temps a passé et, en passant, il parait avoir éteint chez un certain nombre de nos compatriotes, la mémoire des cruelles épreuves que nous avons traversées. A l'heure présente, tout ce qui peut entretenir en nous la chaleur du sentiment national mérite d'être encouragé. Je verrais donc avec plaisir le Gouvernement de la République donner aux vétérans la satisfaction qu'ils attendent depuis si longtemps. »

Enfin, de l'autre côté de la frontière, en Alsace, il y a de braves gens qui se sont battus près de ceux qui sont restés de ce côté-ci de la frontière et qui, en apprenant que la médaille de 1870 allait être créée se sont émus joyeux et contents et ils viennent nous supplier, nous, Parlement français de leur donner, à eux aussi le droit de porter dans les cérémonies officielles et dans les rues la médaille qu'ils ont si bien gagnée et qui sera disent-ils, une réponse aux insolences muettes des vainqueurs qui les coudoient. Pour ne pas abuser de vos instants, je mettrai sous vos yeux seulement la fin de la lettre qu'ils ont envoyée à ce sujet : « Les soussignés, tous d'anciens combattants, font leurs les excellents arguments que les camarades de France ont fait valoir en faveur de la création de cette médaille commémorative. Ici, en Alsace-Lorraine, nous voyons chaque jour les anciens soldats allemands de 1870 arborer leurs insignes ; il y a aussi parmi nous les vétérans de l'Allemagne du Sud qui portent tous fièrement la médaille de 1866, et cependant on sait que cette médaille rappelle une campagne qui fut malheureuse pour les armées auxquelles ils appartenaient. Il leur suffit d'être conscients d'avoir dignement rempli leur devoir. Parmi nous, anciens soldats français de 1870, qui sommes restés en Alsace-Lorraine, il en est de nombreux dont les corps mutilés rappellent la vaillance avec laquelle ils ont défendu le drapeau ; ils savent bien qu'une médaille n'ajouterait rien à leur gloire anonyme. Cependant, ils la porteraient avec émotion, cette médaille, car elle rappellerait aux enfants que les pères ont payé leur tribut à la Patrie. » ( Applaudissements sur divers bancs. )

Je suis convaincu que la Chambre ne restera pas sourde à ce dernier appel. Je vous demande, messieurs, si vous croyez que c'est une raison parce que le sort changeant des armes fut défavorable, un jour, à la France pour que celle-ci ait le droit de se montrer ingrate envers ceux qui, succombant vaillamment sous le coup du malheur n'en sauvèrent pas moins l'honneur du pays malgré le choc brutal et furieux des hommes et du destin. Honorez les vivants après avoir glorifié les morts et ne laissez pas, selon la parole du poète, « les fleurs de l'espérance vivre seulement autour des tombeaux. » Votez la médaille de 1870, votez-là fièrement, sans fausse honte, et en vous rappelant que la honte est le partage des faibles. ( Applaudissements. )

M. le Président. — La parole est à M. Jourde.

M. Jourde. — Je ne dissimulerai pas à la Chambre que j'éprouve une très grosse émotion en venant prendre part au débat que notre collègue M. Berry, avec une persévérance qui serait digne d'une meilleure cause, institue ici depuis dix ans. Son rôle est beaucoup plus facile que le mien. Il est surtout plus facile à la date où nous sommes, à la veille de la consultation nationale. ( Exclamations sur divers bancs. )

M. Louis Ollivier. — Notre collègue demande cette médaille depuis dix ans ; par conséquent sa proposition n'a rien d'électoral.

M. Jourde. — Et moi voilà dix ans que je la combats. Si vous appuyez la proposition de M. Berry, monsieur Ollivier, la tribune vous sera ouverte.

M. Louis Ollivier. — C'est inutile : il a trop bien parlé.

M. Jourde. — La question est grave ; elle intéresse, à mon sens, la dignité nationale elle-même. Soyons d'avis opposés si nous ne parvenons pas à nous mettre d'accord, mais respectons-nous les uns les autres, en nous écoutant tout au moins.

M. Louis Ollivier. — Ne reprochez pas des préoccupations électorales à vos collègues.

M. Jourde. — Je ne leur reproche rien. Si je manquais de respect à mes collègues, ce serait bien involontairement. Ce n'est, d'ailleurs, pas manquer de respect à mes collègues...

M. Louis Ollivier. — Si ! je vous demande pardon !

M. Jourde. — C'est là le caractère que vous donnez à la médaille !

M. Louis Ollivier. — C'est vous qui le lui donnez.

M. Flayelle. — Nous n'apportons ici aucune préoccupation électorale. Ne nous prêtez pas des arrière-pensées que nous n'avons pas.

M. Jourde. — Messieurs, je ne suis point trop surpris des incidents qui marquent le début de cette discussion. Ils démontrent une fois de plus qu'il y a, entre nous, un très grand malentendu ; il n'est pourtant pas possible que, sur un sujet pareil, des Français, des Français comme vous, mes chers collègues, des Français comme nous tous, puissent différer d'opinion. Vous pensez bien que ce n'est pas moi, qui ai subi les humiliations d'il y a quarante ans au point de vue du calendrier, mais qui sont d'hier et dans nos esprits et dans nos cœurs...

M. le comte de Lanjuinais. — Très bien !

M. Jourde. — ...qui ne vieillissent pas, qui n'ont pas quarante ans, elles ; il me semble que le cauchemar est de cette nuit — vous pensez bien que ce n'est pas moi qui manquerais à hommage que l'on doit aux bons soldats de France, à ceux qui ont lait tous leurs efforts pour sauver au moins l'honneur de notre drapeau. ( Applaudissements à gauche. ) Je suis le premier à saluer ces braves gens. Nous les avons vus de près ; nous sommes tombés, à côté d'eux, avec eux, sous les plis de notre drapeau, pour le défendre. ( Applaudissements. )

Mais, messieurs, entendons-nous. La question n'est pas là, quoi qu'en pense l'honorable M. Berry, et je crois saisir ici l'origine du malentendu. Je ne refuse pas, moi, de rendre hommage à mes camarades, à mes frères d'armes : je n'ai pas attendu, pour le faire, la proposition de M. Georges Berry. Il ne s'agit pas d'eux, encore une fois ; il ne peut pas être question d'eux : il s'agit de la France, et il me semble que cela est suffisant.

Vous affectez de rappeler, dans votre proposition, les campagnes qui ont valu à nos enfants, à nos soldats, des médailles commémoratives ; et vous dites:  mais on a donné des médailles pour telle campagne ou pour telle autre. Oui ! Et on a bien fait. Mais dans quelles circonstances ? C'était la France, ne l'oubliez pas, cela est important, c'était la mère-patrie qui, après une expédition, au retour d'une poignée de ses fils, que leurs armes eussent été plus ou moins heureuses, peu importe ! disait : ils se sont conduits en braves enfants de France, ils ont bien rempli leur devoir. Et, à leur retour, elle prenait un air de fête, leur accrochait sur la poitrine, pour célébrer ce retour heureux, un ruban, une médaille commémorative. C'est le droit de la mère-patrie de récompenser les campagnes de ses enfants, qui sont allés porter au loin ses couleurs. Mais, ici, y a-t-il-rien de semblable ? Vous affectez de ne parler que des combattants de 1870. Ah ! que vous me paraissez, sans le vouloir, certainement, rapetisser la question !

Mais c'est la France elle-même qui en 1870 était debout ! ( Très bien ! très bien ! à gauche. ) C'est la France, depuis les engagés volontaires de quatorze ans dont vous parliez, jusqu'aux vieillards à barbe blanche que j'ai vus combattre à nos côtés, c'est toute la France en état de porter les armes qui faisait face à l'envahisseur. ( Applaudissements à gauche. ) Et c'est la France qui, pour commémorer l'arrachement de deux de nos meilleures provinces, pour commémorer toutes les humiliations que nous avons subies en rongeant notre frein, sans pouvoir faire autre chose que ce que disait Gambetta : « Y penser toujours, n'en parler jamais » — car cela a été notre rôle depuis quarante ans — c'est cette France qui, quarante ans après, ne l'oubliez pas, et dans des conditions sur lesquelles je ne veux pas insister — car vous savez tous à combien de sollicitations vous avez été aux prises pour la signature de cette proposition — c'est la France de 1870, qui, quarante ans après, prendrait un air de fête pour commémorer l'époque humiliée...

M. Louis Ollivier. — Mais ce n'est pas cela !

M. Jourde. — Laissez-moi exprimer ma pensée, monsieur Ollivier. Je n'ai pas la prétention d'exprimer la vôtre. Je dis ce que je sens. Je ne sais pas si vous avez subi ce qu'ont ressenti les hommes de ma génération. Si vous l'aviez subi, vous en parleriez sans doute avec la même émotion que celle qui m'étreint en ce moment. ( Applaudissements à gauche. )

Laissez-moi, je vous en prie, aller jusqu'au bout de mes explications ; elles seront brèves, parce que ce n'est pas là un sujet qui puisse, à mon avis, occuper longtemps la tribune française et je déplore qu'on l'y ait apporté ; c'est la première fois que ce fait se présente. Que venez-vous parler de comparaisons avec d'autres nations ? Je ne vous suivrai pas dans cette voie : cela me serait difficile.

Sans doute, si certaines nations, en ce siècle ou dans le courant du siècle dernier, n'avaient pas décerné des médailles à l'occasion des défaites qu'elles avaient essuyées, jamais leurs soldats n'auraient été décorés. Mais est-ce là, messieurs, l'histoire de la France ? N'est-ce pas la première fois que, quarante années après, vous créeriez une médaille commémorative ? On la comparait à la médaille de Sainte-Hélène. Monsieur Berry, ce n'est pas à vous que j'apprendrai ce qu'est la médaille de Sainte-Hélène et qu'il n'y a rien de commun entre elle et celle que vous proposez de créer. La médaille de Sainte-Hélène perpétue de souvenir d'un homme. Quand, en 1857, Napoléon III la créa, il voulut commémorer toutes les campagnes de l'armée française, de 1792 à 1815. Mais enfin, monsieur Berry, dans cette épopée il y a eu autre chose que des défaites. S'il y en a eu de douloureuses, il y a eu aussi des faisceaux de glorieux succès qui pouvaient permettre, dans une large mesure d'instituer le souvenir de l'homme, du grand capitaine, qui avait conduit les couleurs de la France à travers le monde. Il n'y a là rien de comparable à la médaille que vous proposez.

M. Georges Berry. — Le général Langlois est partisan de notre proposition.

M. Jourde. — Mais il n'y a pas que des généraux qui se soient laissé prendre à ce malentendu : je suis effrayé de voir ici des représentants de l'Académie française s'émouvoir également ; car je suis menacé d'un discours d'académicien. ( Mouvements divers. )

M. Maurice Barrès. — Il n'y a ici qu'un député.

M. Jourde. — Monsieur Barrès, il est entendu qu'ici chacun de nous est un simple député ; mais je réponds à M. Berry qui me cite l'opinion d'officiers généraux, que, si je comprends jusqu'à un certain point l'attitude dans cette question de plusieurs de mes collègues, je suis douloureusement surpris de voir des officiers généraux de l'armée de terre ou de l'année de mer donner leur adhésion à une semblable proposition.

La médaille de 1870 a, du reste, eu aussi d'autres partisans dont le concours, je ne crains pas de le dire, n'a pas été suffisamment réfléchi. Quelques-uns de nos collègues, parmi les plus révolutionnaires, se sont trouvés un certain nombre pour signer la proposition de M. Berry sans se douter qu'ils allaient décorer les soldats de Versailles qui ont combattu les soldats de Paris.

M. Dejeante. — Très bien !

M. le lieutenant-colonel du Halgouet. — Il n'y avait pas des soldats de Versailles et des soldats de Paris ! Il y avait des soldats de la France et des communards. ( Bruit à l'extrême gauche. )

M. Jourde. — Je ne tire pas argument au fond de cette adhésion...

M. Durre. — Vous savez bien que telle n'est pas notre pensée.

M. Jourde. — J'en suis sûr. ...Je veux montrer le sérieux avec lequel a été signée cette proposition d'une médaille de 1870-71. Les combattants de 1870 sont extrêmement intéressants et s'il était possible de leur venir en aide d'une manière effective, je serais le premier à donner mon suffrage en leur faveur.

M. Jacques Piou. — Faites-leur des pensions.

M. Jourde. — Faites des pensions, évidemment, donnez ce que vous pouvez à ceux qui sont dans le besoin, ce sera digne d'eux et digne de la France. Vous pouvez créer cette médaille, vous êtes la majorité ; il paraît que cette proposition a réuni 190 ou 200 signatures ; mais j'aime à croire qu'après réflexion, la Chambre ne se résoudra pas à la voter ; j'aime à croire qu'elle fera une distinction que M. Berry n'a pas faite. M. Berry nous dit : Mais vous avez décoré des villes, des drapeaux : vous avez fait des tombes, élevé des monuments où vous allez en pèlerinage ; et pourquoi, par conséquent, ne décoreriez-vous pas les vivants ? Les deux choses ne sont pas comparables.

Il est très explicable et très naturel que j'aille en pèlerinage sur un champ de bataille pour honorer la mémoire des soldats français, qui sont morts pour la défense du pays ; il est naturel aussi que l'on décore les armes de Belfort ou de telle autre ville dont les habitants se sont bien comportés pendant l'année terrible. Il est naturel également, et cela a été fait, que la plupart des combattants de 1870 qui se sont distingués, aient reçu les récompenses que méritaient leurs actions d'éclat. La plupart des héros que signalait M. Berry ont eu les récompenses qu'ils méritaient.

M. le général Pedoya. — Comme M. Jourde, j'estime que mieux vaut dépenser les 1.500.000 francs, que coûterait la création de cette médaille. ( Exclamations à droite. )

M. Louis Ollivier. — On peut faire les deux !

M. Georges Berry. — La médaille ne coûtera rien à l'Etat. Les vétérans se sont mis d'accord pour en payer les frais eux-mêmes.

M. le général Pedoya. — M. le rapporteur lui-même vient de me donner le chiffre. Il vaudrait mieux consacrer ces 1.500.000 francs à venir en aide aux vieux soldats qui sont dans la misère. ( Applaudissements à gauche. )

M. Jourde. — Vous avez raison, mon général.

M. Flayelle. — Les anciens soldats aiment mieux recevoir une médaille que de l'argent.

M. le général Pedoya. — Je suis un combattant de 1870, et j'estime qu'il vaudrait mieux soulager effectivement ces vieux soldats plutôt que de leur donner un ruban.

M. le lieutenant-colonel du Balgouet. — Il y a des soulagements moraux aussi. Il n'y a pas que les encouragements matériels !

M. Georges Berry. — Les vétérans se sont mis d'accord pour payer eux-mêmes la médaille. Elle ne coûtera pas un centime à l'Etat.

M. le général Pedoya. — Quand l'Etat donne une médaille, il ne doit pas la faire payer.

M. Louis Ollivier. — C'est rabaisser le débat que d'y mêler une misérable question d'argent.

M. Jourde. — Enfin, il paraît que ce serait un remède efficace contre l'invasion de ces doctrines abominables qui s'appellent l'antipatriotisme, l'antipatriotisme ou autres mots en isme.

M. Georges Berry. — C'est en des termes aussi légers que vous traitez l'antipatriotisme ?

M. Jourde. — Est-ce que vous pensez que j'aie jamais pactisé avec l'antipatriotisme ! ( Très bien ! très bien ! ) Véritablement, je ne m'attendais pas à cette interruption de votre part. Vous avez dit ici, et vos porte-paroles l'ont répété, car vous avez des journaux qui impriment tous les jours des notes très longues avec des noms de députés, apparemment, pour leur faire de la réclame dans leur circonscription... ( Interruptions à droite. ) Messieurs, vous êtes d'une vertu véritablement très chatouilleuse.

M. Auriol. — On ne devrait pas laisser parler ainsi.

M. Louis Ollivier. — Comment pouvez-vous suspecter vos collègues, monsieur Jourde ?

M. Jourde. — J'exprime mon opinion, je dis ce que je crois être la vérité. Vous prouverez le contraire. M. Berry a prétendu que ce serait une barrière, un remède contre les doctrines dangereuses de l'antipatriotisme et de l'antimilitarisme. Je prétends le contraire. Aujourd'hui, les apôtres de ces doctrines mauvaises peuvent aller les prêcher dans certains milieux, mais ils ne trouvent pas de bonnes raisons pour les appuyer et les justifier. Le jour où vous aurez créé votre médaille, où vous leur aurez permis de dire : Les médailles que l'on donne aux soldats, les rubans que l'on met sur leur poitrine, jusqu'ici on les leur avait donnés quand ils avaient gagné des victoires ; on les leur donne maintenant quand ils sont battus », croyez-vous que vous aurez affaibli la thèse des antipatriotes et des antimilitaristes ? J'estime qu'au contraire vous l'aurez alimentée. Je répète qu'il y a là en jeu un sentiment national. Non, il ne peut pas s'agir des combattants de 1870 ; il s'agit de la France ; vous verrez la France de 1910 se mettre en fête pour commémorer la France de 1870. Craignez qu'on dise que ce n'est pas la médaille pour les combattants de 1870 que vous créez, mais bien la médaille pour les combattants de mai 1910.

Il ne peut pas être question des individus, il ne peut pas être question des hommes ; c'est la France elle-même qui s'enrubannera, quoi que vous en disiez ; c'est la France qui se mettra en fête pour commémorer la plus grande humiliation qu'elle ait subie au cours de son histoire. Je vous en prie, messieurs, réfléchissez avant d'émettre un vote pareil. Je crois que, s'il se trouvait ici une majorité pour l'émettre, elle le regretterait ; encore une fois je ne peux pas croire qu'on puisse différer d'avis sur cette question. Je suis convaincu qu'en ce moment j'exprime le sentiment français, le sentiment qui est en chacun de nous dans chacun de nos cerveaux et dans chacun de nos cœurs. ( Applaudissements à gauche et sur divers bancs. )

M. le Président. — La parole est à M. Louis Passy.

M. Louis Passy. — Je veux faire, non point un discours, mais une déclaration; je monte à cette tribune pour expliquer mon vote en faveur de la proposition que vous ont soumise M. Berry et un grand  nombre de nos collègues. Je ne reprendrai pas la discussion sur la thèse épuisée de la médaille commémorative de nos revers, quoique ces revers ne diminuent en rien la bonne conduite et les bons sentiments de ceux en faveur desquels nous plaidons, et je laisse mon honorable collègue, M. Jourde s'indigner que nous prétendions honorer les survivants de la guerre de 1871. Les raisons qui me donnent une opinion contraire sont inspirées par la grande cause de la défense nationale : aussi je voudrais essayer, en quelques mots, de favoriser le vote d'une proposition à laquelle le temps et les circonstances ont donné un nouveau caractère et qui a pour objet de provoquer, dans  les mœurs publiques, un élan de patriotisme.

Il faut voter les 100 francs, comme indication, c'est le principe ; il faut laisser au ministre de la guerre et au gouvernement le soin de nous en proposer l'application. Telle est là notre mission. Quarante ans se sont écoulés depuis la guerre franco-allemande ; les raisons qui ont porté le Parlement et le Gouvernement, pendant tant d'années, à refuser une distinction à cette foule obscure et confuse dans laquelle le trouble de nos esprits ne nous permettait pas de choisir les plus dignes, ces raisons disparaissent de jour en jour. La mort s'est chargée de faire une sélection inévitable et de transformer les survivants en vétérans, tandis qu'une évolution s'est accomplie dans nos mœurs et nos institutions. Est-il utile, est-il nécessaire d'apprendre aux générations nouvelles que les générations précédentes n'ont pas été incapables de souffrance, de courage et de dévouement et de répéter, avec Gambetta, que la nation n'a pas voulu mourir ? Je le crois. Voilà toute la question.

L'état de l'opinion publique s'est considérablement modifié. Il ya quelques années, l'esprit militaire et les institutions militaires étaient suspects, discutés, combattus, en décadence ; on travaillait à séparer les officiers des soldats, la discipline était atteinte, les doctrines antimilitaristes s'emparaient des jeunes cerveaux pour empoisonner la vie nationale. Par un de ces sursauts qui sont dans notre nature, le Gouvernement et la population se sont ressaisis et s'appuyant l'un sur l'autre, ont travaillé à restaurer l'esprit du devoir militaire. Ai-je besoin de vous parler de l'organisation naissante de la préparation militaire, de vous faire sentir le bienfait des sociétés de tir, dirigées par nos officiers de réserve et nos instituteurs et soutenues par des comités de bons citoyens ?

Ai-je besoin de vous rappeler les manifestations patriotiques où chaque année, sous la chaude parole d'orateurs convaincus, viennent battre les cœurs vraiment français. C'est au milieu de ce choc entre ceux qui défendent le devoir militaire et ceux qui l'attaquent ; c'est dans cet incontestable mouvement des esprits, des consciences et des cœurs où la vie nationale semble reprendre un nouvel essor, que se présente à vos suffrages, la proposition d'honorer les combattants de 1870 et de 1871. Je laisse de côté la discussion sur le principe même, de la proposition et je vais droit aux difficultés de l'application. C'est en cela que mes réflexions peuvent avoir quelque utilité. Je ne veux pas de lutte dans une affaire de sentiment.

La proposition qui vous est faite vise la création d'une médaille sans en préciser la forme et le caractère. Evidemment, cette médaille n'a aucun rapport avec la Médaille militaire qui entraîne une récompense pécuniaire ; elle rentre dans le cadre des médailles commémoratives telles que les médailles de Madagascar, de Chine et du Tonkin. Même à ce point de vue, j'avoue que je ferai quelque réserve sur la forme d'une médaille de ce genre. Je ne vois pas très bien, après quarante ans de silence, l'inscription ou la légende qui paraîtraient dignement sur une pareille médaille. Le mot de patrie seul me plairait.

Reste enfin la troisième catégorie de médailles qu'on appelle médailles d'honneur et qui sont attribuées par décision ministérielle. Sous cette forme, point de difficultés pour le Parlement, pour le Gouvernement, pour l'Administration, et j'arrive tout de suite à cette conclusion : c'est qu'il serait possible de remplacer le mot « médaille » par le mot « décoration » ; c'est la même chose en fait, mais en fait aussi, cela est tout différent. La commission du budget serait désintéressée du débat. C'est un point important.

M. le rapporteur. — Ce n'est pas la question.

M. Louis Passy. — Un autre point qui est plus délicat, n'est de savoir à qui serait attribuée cette distinction. On propose de l'accorder à tous les survivants de 1870 et de 1871 ! Les survivants quels sont-ils ? Sont-ce les combattants seulement ou tous ceux qui ont vécu la guerre de 1870 ? les militaires et les civils ou les militaires seulement ?

M. Georges Berry. — C'est entendu. Il ne s'agit que des combattants ; le texte de l'amendement est formel.

M. Louis Passy. — Il ne faut pas demander à M. le ministre de la guerre le travail d'une si laborieuse et si dangereuse classification ; il faut venir à son secours et lui conseiller de prendre pour base et pour cadre les sociétés de combattants et les Associations patriotiques qui affirment leur présence sous les drapeaux et dont les membres sont évidemment en mesure de prouver qu'ils ont été plus ou moins les acteurs dans les campagnes de 1870-1871.

Un membre à gauche. — Comment distinguerez-vous les combattants ?

M. Louis Passy. — C'est aux combattants à fournir la preuve de la légitimité de leur désir. C'est à l'autorité du ministre à exercer le contrôle. Il est bien évident que si l'on adopte ces mots : survivants de 1870-71, il faut y comprendre les gardes nationales qui ont été mobilisées ; le travail sera un peu plus difficile, parfois même douteux, mais partout, sous des costumes divers, il convient de le répéter régulière et l'armée auxiliaire ont rempli leur devoir. Il me semble qu'avec ces distinctions et ces réserves sans compromettre en rien son glorieux titre de chef de l'armée nationale, M. le ministre de la Guerre pourrait aisément reconnaître la voie que nous le prions de suivre et sur cette voie il retrouvera les braves gens qui publiquement se font encore honneur et gloire de leur passé, affirmant leur foi dans l'avenir et sans espoir de récompense viennent encore prendre part à nos manifestations patriotiques.

Si je monte à la tribune, c'est parce que j'ai toujours vécu avec les combattants de 1870 depuis l'Assemblée nationale. Témoin et acteur dans les drames de l'année terrible, je crois de mon devoir, après l'épreuve d'un long deuil, de prendre la parole. L'ennemi traversait le Vexin en grandes forces. Il avait incendié la ville d'Etrépagny ; il savait qu'à Gisors se trouvaient un bataillon des mobiles des Landes, quelques militaires et une petite garde nationale. Le prince Albrecht fit sommer la municipalité de lui livrer Gisors, c'est-à-dire nos soldats ou de subir le lendemain à midi, le sort de la ville d'Etrépagny. Nous refusâmes, bien entendu, d'obéir et nous l'attendîmes. J'étais premier conseiller municipal, le maire et moi fûmes chargés de faire le nécessaire. Je fis sortir de grand matin les troupes et les plaçai dans un endroit où elles pouvaient défendre une partie de la ville sans compromettre la sécurité des habitants. Le lendemain, la ville était enveloppée par 6.000 hommes. Il y eut bataille sur le point que j'avais fixé, mort d'hommes, fusillade de prisonniers civils, puis entrée dans la ville sous le feu du canon. Nos trouves étaient écrasées, nous avions fait notre devoir, mais elles n'étaient pas prisonnières ; l'honneur était sauf.

Sur ma demande, le gouvernement de l'Assemblée nationale décora Gisors dans sa municipalité. C'était justice. Et après ? A l'Assemblée nationale, j'ai retrouvé des combattants de 1870-1871. J'ai été des rapporteurs de la commission des départements envahis, de la réorganisation de l'armée, et vous comprendrez pourquoi, après un silence de trente-cinq ans, j'interviens pour qu'ils ne soient pas oubliés. Et depuis trente-cinq ans, les combattants, les survivants civils et militaires de mon pays mes compatriotes et mes amis se réunissent dans les cimetières de Gisors et d'Etrépagny pour renouveler les éternels regrets aux victimes de l'invasion. Ces manifestations sont des leçons pour ceux qui, alors, nous écoutent et des exemples pour ceux qui grandissent : mais peu à peu, la mort frappe et disperse les fidèles de l'année terrible ; ils disparaissent et je survis. Je survis et je vous dis, je dis au Gouvernement de la République : hâtez-vous, il en est temps encore. Donnez à ceux qui ont vraiment combattu dans les rangs de l'armée française et autour d'elle, donnez à ceux qui sont debout et qui portent dans leur cœur le culte du douloureux souvenir, donnez-leur non pas à titre de gloire, non pas à titre de faveur, une médaille, une décoration, pour tout dire un insigne quelconque, l'insigne du ralliement autour des tombes de ceux qui sont morts pour la patrie. Honorer les vivants, c'est honorer les morts. ( Vifs applaudissements. )

M. le Président. — La parole est à M. Dansette.

M. Jules Dansette. — Après le discours si émouvant de notre doyen d'âge, il ne m'appartient d'ajouter que quelques mots, moins pour justifier notre proposition que pour expliquer mon adhésion empressée. M. Passy a fait bonne justice des arguments de M. Jourde. Je veux simplement rappeler à ce dernier que le droit d'être honoré revient aux braves et non pas seulement aux vainqueurs. Et puis, les ayants droit sont aujourd'hui des vétérans. Ils ont atteint la soixantaine. La mort a fait son œuvre parmi ceux qu'avaient épargnés les balles prussiennes, parmi ceux aussi qui avaient échappé aux tourments de la maladie, du froid et de la faim. Personne ne refusera un hommage de sympathie émue à ceux qui porteront cet insigne commémoratif. Car, en évoquant une page douloureuse de notre histoire, il rappellera en même temps une foule d'actes courageux qui ont sauvé l'honneur. ( Très bien ! très bien ! )

Ce sera d'un excellent exemple pour les générations présentes et à venir. Ce souvenir rappellera, tout de suite, qu'en dépit de l'optimisme de certains endormeurs, le pays le plus exempt de l'esprit de conquête n'est jamais il l'abri d'une soudaine agression. Il leur enseignera que le meilleur moyen d'échapper aux surprises, d'où qu'elles viennent, c'est de tenir toujours prêt l'instrument de la défense et de la résistance. Il leur montrera que le secret de la paix durable, c'est la préparation à la guerre, et que faute de cette préparation, un peuple trop confiant s'expose à l'invasion et au démembrement. ( Très bien ! très bien ! )

La médaille que nous proposons revêtira encore d'autres significations précieuses. A côté de tant de décorations dont la profusion n'a fait qu'accroître le ridicule et qui récompensent trop souvent des services politiques, cela nous changera d'en voir porter une qui ne pourra pas être dénoncée comme un « hochet de la vanité » et qui sera purement et simplement l'hommage rendu au courage malheureux par une patrie qui ne veut pas être ingrate. On a parlé de l'inscription à faire sur cette médaille. J'imagine qu'on y lira le mot de « Patrie ». Sil n'y est pas matériellement gravé, du moins sera-t-on, pour ainsi dire, contraint de l'y voir resplendir comme une protestation directe et incessante contre les abominables et subversives doctrines qui ont osé dans la presse, dans certains meetings, à l'école parfois et même à la caserne blasphémer le drapeau, injurier l'armée, nier la Patrie. ( Très bien ! très bien ! sur divers bancs à droite et au centre. )

Messieurs, dans notre département du Nord, qui partage avec tous les pays frontières la sagesse de professer un patriotisme peut-être plus vigilant et plus inquiet, l'on rencontre, en chaque commune, pour ainsi dire, un monument tantôt fastueux, tantôt modeste qui consacre le souvenir de nos concitoyens tués en 1870-71. Nous avons, en même temps, pris à cœur de célébrer les hauts faits d'un passé plus ancien. Les batailles de Wattignies et de Denain, la grande figure de Boufflers, la journée elle-même de Malplaquet sont évoquées, par de récents monuments, qui ont reçu la sympathie universelle. Puis encore chacune des étapes de l'armée de Faidherbe a fait l'objet d'une commémoration monumentale qui atteste que l'oubli ne saurait envahir nos cœurs.

Nous demandons davantage aujourd'hui ; nous demandons que chacun des survivants de 1870-71 revive, par sa seule présence, partout où il passera, l'évocation des douleurs passées, des devoirs présents, des réveils futurs ! ( Applaudissements au centre et à droite. )

M. le Président. — La parole est à M. Barrés.

M. Maurice Barrés. — Les arguments favorables à la création de la médaille ont été exposés trop complètement pour que j'essaye d'y ajouter plus de deux mots. Je voterai la création de cette médaille. Je comprends parfaitement qu'au lendemain de 1870 beaucoup de très bons esprits aient repoussé, sans vouloir même l'examiner, la possibilité d'une telle création : mais auprès quarante années écoulées, la situation s'est bien modifiée et ceux-là même qui ne voulaient pas d'un insigne pour les combattants de 1870 sont prêts à le voter. Aussi bien la question n'est plus intacte devant le pays. Le peuple a tranché le débat.

D'instinct, le peuple tout entier honore les survivants de la guerre. Il les distingue, en toutes occasions ; il leur cède la première place, il les respecte, il les honore. Nous n'avons plus qu'à enregistrer cette façon de sentir. Cette médaille, en quelque sorte, est déjà accordée spontanément, par l'opinion publique. Il ne s'agit plus que d'authentiquer ceux qui ont combattu en 1870. Les authentiquer, pourquoi ? Pour les désigner au respect des nouvelles générations. Cette médaille ira dire d'une façon saisissante dans chaque village : Voilà des hommes, de toutes classes, qui ont accompli, les armes à la main, leur devoir de Français en face de l'envahisseur, respectez-les. » ( Applaudissements. )

M. le Président. — La parole est à M. Mathis.

M. Mathis. — Je ne suis pas de ceux qui ont signé la proposition de notre honorable collègue M. Berry. Je tenais, avant de la signer, à faire une enquête — puisque l'on a parlé de l'opinion du pays — dans deux régions intimement intéressées à cette question parce qu'elles ont, en 1870, pris une part plus active peut-être que n'importe quelle autre partie de la France, aux malheurs de la Patrie et qu'elles en ont plus souffert.

J'ai fait mon enquête des deux côtés de la frontière, en Alsace et dans les Vosges. Dans l'Alsace, qui a été complètement détachée de nous, dans les Vosges qui sont mutilées pour une large part, l'opinion publique est favorable à la création de la médaille parce qu'elle sera considérée comme un souvenir, non de nos malheurs, mais comme souvenir de l'héroïsme de nos populations et de la résistance qu'elles ont opposée à l'envahisseur. ( Très bien ! très bien ! )

Nous voulons perpétuer par la médaille de 1870 non pas la défaite, mais l'héroïsme de tous nos soldats, leur résistance opiniâtre contre le vainqueur, le courage dans le malheur qui est encore peut-être plus louable que le courage dans la victoire. ( Très bien ! très bien ! ) Je crois donc pouvoir parler au nom de tous mes collègues des Vosges en déclarant nous associer à la proposition de l'honorable M. Berry. ( Applaudissements. )

M. le Président. — La parole est à M. Compère-Morel.

M. Compère-Morel. — Plusieurs de mes collègues et moi étions disposés à voter la proposition de M. Berry, puisque nous l'avions même signée. Mais tout à l'heure, j'ai entendu interpréter cette proposition de médaille dans un sens très différent de celui que nous lui avions attribué. Nous avions cru tout d'abord qu'il s'agissait de récompenser les anciens combattants de 1870-1871, parce qu'ils avaient lutté sur les champs de bataille contre les armées impériales allemandes. Ils ont été battus disions-nous, c'est entendu ; mais les actes de courage, d'héroïsme même, ayant été nombreux, nous sommes tous heureux de le reconnaître. Mais tout à l'heure, on a dit que cette médaille, décernée au nom de la Patrie, devait donner une leçon à ceux qui sont antimilitaristes, antipatriotes, et par là honorer ceux qui, en 1871, ont tiré sur les communards.

M. Dansette. — Personne n'a dit cela.

M. Compère-Morel. — Par conséquent, tout en désirant voter une médaille pour ceux qui ont combattu en 1870, nous voterons contre la proposition que nous avons signée parce que nous ne voulons pas voter une médaille pour ceux qui ont fusillé les hommes de la commune. ( Applaudissements à l'extrême gauche. — Bruit. )

M. le Président. — La parole est à M. le ministre de la Guerre.

M. le ministre de la guerre. — Messieurs, je rends hommage plus que personne aux combattants de 1870. Je sais les souffrances qu'ils ont supportées, le courage qu'ils ont montré en toutes circonstances. Je me rappelle les nuits épouvantables qu'ils ont passées à l'armée de la Loire, les marches terribles qu'ils ont faites autour de Belfort à l'armée de l'Est. Je sais que dans ces marches il y a eu parmi nos mobiles des hommes qui sont entrés aux ambulances dans la proportion de plus de la moitié avec les pieds gelés. Par conséquent, ce n'est pas le ministre de la Guerre qui peut méconnaître les services rendus par nos soldats en 1870.

Je rends hommage aux sentiments élevés qui ont été exprimés à la tribune par M. Georges Berry aussi bien que par M. Jourde et M. Passy. Mais je ferai remarquer que les actes d'héroïsme accomplis par les soldats de 1870 ont pu, sans aucune difficulté, être récompensés par des décorations, croix et médailles militaires, non seulement pendant la campagne, mais jusqu'à aujourd'hui, s'il le faut. Donc, pas plus que mes prédécesseurs, je ne peux discerner l'utilité de créer une médaille qui rappellerait l'époque la plus sombre de notre histoire. ( Très bien ! très bien ! à gauche. )

Je ne veux pas faine entrer dans ce débat des considérations budgétaires qui me paraissent indignes du sujet. ( Très bien ! très bien ! ) Il y a cependant un point sur lequel je dois appeler l'attention de la Chambre : au point de vue de l'exécution, nous aurions de très grandes difficultés à distribuer ces médailles, parce qu'il y a une foule, de formations de combat pour lesquelles nous n'avons pas gardé archives : il y a des ambulanciers, des engagés, des bataillons de mobiles, etc., dont nous n'avons conservé aucune trace. Je n'ignore pas plus que l'honorable M. Passy qu'honorer les vivants c'est rendre hommage aux morts et ensemencer l'avenir, mais, malgré le dévouement qui a été montré par nos troupes, malgré les actes d'héroïsme que nous avons constatés partout, malgré le magnifique exemple qu'elles ont donné en 1870, je ne saurais me rallier à la proposition qui est faite à la Chambre. ( Applaudissement à gauche. )

M. le Président. — La parole est à M. Barrés.

M. Maurice Barrés. — Il est nécessaire, pour la clarté de la question, de répondre un mot à M. Compère-Morel. Notre collègue s'est tout à fait mépris sur l'intention de ceux qui demandent cette médaille.

M. Bouveri. — M. Dansette a prononcé des paroles qui ont pu motiver son erreur.

M. Maurice Barrès. — Quand nous partons de donner un témoignage d'honneur à ceux qui ont porté les armes contre l'ennemi, il ne peut venir à l'esprit d'aucun Français que nous rangions sous ce terme d' « ennemi » aucune fraction de nos concitoyens qui ont pris part à nos guerres civiles. ( Très bien ! très bien ! )

M. Jourde. — Ce ne sont pas les termes de l'amendement.

M. Maurice Barrés. — Un représentant du peuple français n'entend pas un seul instant désigner par le mot « ennemi » soit les « communards », soit les « versaillais ». Quand nous parlons de la guerre de 1870, il s'agit de la guerre franco-allemande, de la guerre contre l'étranger. ( Applaudissements. )

M. Jourde. — Il n'y a pas cela dans l'amendement.

M. le Président. — La parole est à M. Dejeante.

M. Dejeante. — Je suis un engagé volontaire de 1870 ayant fait la campagne du Nord ( Très bien ! très bien ! ) et je déclare que j'ai toujours voté « contre » toute décoration et voterai encore « contre » la proposition qui est soumise à la Chambre. J'estime que notre devoir n'a pas besoin de marques extérieures.

A droite. — Supprimez alors toutes les décorations !

M. Dejeante. — La satisfaction du devoir accompli suffit largement. ( Mouvements divers. ) J'estime, d'autre part, qu'il serait peut-être bon et sage de décider que ne pourront prendre part au vote que ceux qui ont lait en 1870 leur devoir. ( Applaudissements à l'extrême gauche. ) Je demande à la Chambre, pour cause de moralité publique, de repousser l'amendement. ( Mouvements divers. )

M. le Président. — La parole est à M. le rapporteur général.

M. le rapporteur général. — Je voudrais montrer à la Chambre comment se pose exactement la question, afin qu'elle n'ait pas l'illusion de croire qu'elle va décider, à l'heure présente, s'il y aura ou non une médaille de 1870 ; il arrive, en effet, que beaucoup de votes de ce genre ont pu être émis sans qu'ils aient eu une conséquence pratique. Vous avez entendu des discours patriotiques prononcés dans les deux sens, par les partisans et les adversaires de la médaille. Il semble, à mon avis, se dégager de ce débat que la majorité de nos collègues éprouve ce sentiment que certainement les combattants de 1870, ceux qui ont rendu des services militaires réels, n'ont pas obtenu des récompenses proportionnées à ces services.

Mais je crois qu'on entend donner ces récompenses uniquement aux vétérans de la guerre, à ceux qui ont réellement combattu, souffert, et non pas à tous ceux qui, suivant le mot de Victor Hugo, peuvent répondre : « présents », mais non pas « combattants ». ( Très bien ! très bien ! )  C'est aux premier seulement qu'on songe, ce sont les services réels qu'on veut récompenser. En tout cas, il ne saurait être question pour personne de créer une médaille commémorative d'une guerre désastreuse. Il ne peut y avoir de confusion sur ce point : Vous voulez que les récompenses aillent à ceux qui les méritent. ( Très bien ! très bien ! )

Comment la question se pose-t-elle ? Les parlements, tant qu'ils ne votent pas de lois, ne font que des manifestations. Par votre amendement, vous manifestez en ce moment simplement un sentiment. En vous-bornant à voter une majoration à de crédit de 100 fr., vous demandez simplement M. le ministre de la Guerre d'étudier la question, rien de plus; vous voulez appeler 1'attention de M. le ministre de la Guerre sur des oubliés qui peuvent avoir été victimes d'une véritable injustice.

M. le ministre la Guerre n'a pas fermé la porte à cette étude. Il ne s'est élevé que contre la création d'une médaille commémorative qui tendrait à faire porter la défaite à la boutonnière. ( Mouvements divers. ) Il s'est élevé contre cette tendance et non contre la récompense de services réels qui ont pu être rendus. ( Très bien ! très bien ! )

Je crois donc que la Chambre tout entière peut voter cet amendement de 100 fr. Il indique sa bienveillance envers des braves, et formule une invitation à M. le ministre de la Guerre pour qu'il étudie la question et nous saisisse le plus prochainement possible d'un projet de loi. C'est dans ces conditions que nous pouvons tous nous associer au vote : si vous entendiez faire autre chose, vous ne pourriez faire qu'une vaine manifestation. ( Très bien ! très bien ! )

A gauche. — Aux voix !

M. Georges Berry. — Non ; il y a une équivoque : il faut qu'elle soit dissipée.

M. le Président. — La parole est à M. Marin.

M. Louis Marin. — En réponse à M. le ministre de la Guerre, je voudrais faire une seule remarque à la Chambre. Si l'opinion publique s'est de nouveau très vivement intéressée à l'idée d'insignes pour engagés volontaires et les anciens combattants de 1870, c'est sous une influence toute nouvelle : c'est surtout à la suite de la création d'insignes honorifiques pour les hommes qui avaient participé aux expéditions coloniales. Quel qu'ait été le succès ou l'insuccès de ces expéditions, on a distribué des médailles par dizaine de mille et on les a distribuées à tous ceux qui y avaient pris part. Ces insignes ont non seulement récompensé les intéressés, mais ils ont stimulé ceux qui, dans la suite, ont désiré prendre part aux expéditions coloniales. L'opinion et les anciens combattants de 1870 se sont alors posé la question de savoir pourquoi, puisqu'on donnait des médailles pour le dévouement et le patriotisme montrés dans les expéditions coloniales heureuses ou malheureuses, on ne donnerait pas un insigne à ceux qui avaient défendu avec courage le sol même du pays dans des jours malheureux et dont, d'ailleurs, un petit nombre survivaient. ( Très bien ! très bien ! )

M. Compère-Morel. — Devant les explications de notre collègue, M. Barrés, nous retirons notre déclaration antérieure, parce qu'il est bien affirmé que l'on ne tend pas à donner une médaille à ceux qui ont combattu ceux que l'on qualifiait d'ennemis de l'intérieur. ( Très bien ! très bien ! )

M. le Président. — La parole est à M. Berry.

M. Georges Berry. — Il ne faut pas d'équivoque. Il est bien entendu que la Chambre par son vote va s'engager d'une façon absolue. ( Mouvements divers. ) C'est un vote de principe, c'est vrai, mais c'est une invitation ferme donnée à M. le ministre de la Guerre d'avoir à nous apporter un projet de loi qui récompense tous les combattants de 1870. ( Très bien ! très bien ! )

Sur divers bancs à gauche. — Et à étudier la question.

M. Georges Berry. — Non, à la résoudre dans le sens de notre amendement. ( Très bien ! très bien ! )

M. le Président. — Je mets aux voix l'amendement de M. Berry, dont j'ai donné lecture. Il y a une demande de scrutin signée de MM. Bienaimé, Pasquier, Georges Berry, de Belcastel, Groussau, Gayraud, de Pomereu, Louis Passy, du Halgouet, de Ramel, le baron Gérard, de Blacas, de Pins, Prache, Dudouyt, G. Berger, Laniel, etc.

Le Scrutin est ouvert.

( Les votes sont recueillis. — MM. les secrétaires en font le dépouillement. )

M. le président. — Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre des votants : 583

Majorité absolue : 292

Pour l'adoption : 549

Contre : 34

La Chambre des députés a adopté.

J'ai reçu de MM. Compère-Morel, Durre et Adrien Veber une proposition de résolution ainsi conçue : « La Chambre invite le Gouvernement à étudier, pour le budget du futur exercice, les crédits nécessaires pour qu'une allocation annuelle de 100 fr. soit attribuée à tout ancien combattant de 1870-1871 qui en fera la demande et justifiera de son manque de ressources. » Cette proposition, de résolution ne pouvant venir sur le chapitre 3, qui ne contient que des crédits de matériel, viendra lors de la discussion du chapitre 50.

Je mets aux voix le chapitre 3, au chiffre de 305.420 fr.

( Le chapitre 3, mis aux voix, est adopté. )

( La séance est levée à midi vingt minutes ).

Le chef du service sténographique de la Chambre des députés,
V. VIOLETTE DE NOIRCARME.

****

Puisque nous publions le compte rendu complet de la séance du 11 février dans laquelle a été discuté l'amendement relatif à la médaille de 1870-1871, nous ne voulons pas passer sous silence les bonnes paroles qu'a prononcées notre sympathique camarade, M. Ferri de Ludre, Député de Meurthe-et-Moselle, membre du Conseil général de la Société, dans la séance du 8 février courant, de la Chambre des Députés, lors de la discussion générale sur le budget de la Guerre. Voici ses paroles :

Avant de terminer, je voudrais, messieurs, dire encore deux mots en faveur d'une motion qui sera discutée lors de l'examen des articles et qui a déjà rencontré dans le Parlement de nombreux partisans, concernant la médaille à accorder aux combattants de 1870-1871. Je connais les objections et les résistances que ce projet a rencontrées auprès d'un certain nombre d'entre nous ; mais, avec beaucoup d'autres, j'estime que ceux de nos concitoyens qui ont, autrefois, versé leur sang sur les champs de bataille, supporté, sans faiblesse, les horreurs du siège, les tristesses de l'invasion, méritent la distinction sollicitée en leur faveur.

A ceux qui m'objecteraient que les défaites ne doivent pas être commémorées, je répondrais, volontiers, que l'histoire a enregistré des défaites aussi glorieuses que des victoires, que les combattants de Saint-Privat, de Bapaume, de Villersexel et de tant d'autres lieux fécondés par leur sang généreux, n'ont pas démérité et peuvent, hautement, se réclamer de leurs grands ancêtres, les combattants de la République et de l'Empire. ( Applaudissements. )

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En terminant la publication de ces comptes rendus des séances, de la Chambre des Députés, nous nous faisons un devoir de remercier chaleureusement les membres du Parlement qui ont bien voulu prêter à la cause qui nous est chère, le précieux concours de leur autorité et de leur éloquence. Nous leur en sommes profondément reconnaissants et ils peuvent être persuadés que nos braves Vétérans sauront s'en souvenir à l'occasion.

Nous remercions aussi vivement les journaux qui nous ont aidés dans notre campagne de propagande en faveur de la médaille, et, en particulier, Le Petit Journal, dont l'appui nous a été des plus précieux, grâce à sa grande publicité. Plusieurs de nos Camarades ont adressé à M. le Président Général des lettres et des télégrammes de félicitations, à l'occasion du vote de la Chambre. Le Conseil Général a été très sensible à ces témoignages de gratitude et tient à les en remercier cordialement.

****

Quelques jours avant la séance de la Chambre, à laquelle a été discuté l'amendement relatif à la médaille de 1870 — exactement le lundi 7 février — M. le Président Général a eu une entrevue avec M. Jourde, Député qui devait combattre l'amendement G. Berry. M. Sansbœuf a essayé, pendant plus d'une demi-heure de conversation, de convaincre et de rallier le député de la Gironde, au projet de la médaille. Ce fut peine inutile. M. Jourde à persisté dans sa manière de voir. Il a combattu courageusement, mais sans succès, à la tribune de la chambre, la création de la médaille que ses anciens compagnons d'armes de 1870-71 sollicitent du Paiement français. M. le député Jourde est décoré de la Médaille militaire pour avoir été blessé sur le champ de bataille. Beaucoup de nos camarades ont été blessés comme lui ; ils se contenteront de la simple médaille commémorative des événements tragiques auxquels ils ont pris part, et cette médaille, ils l'auront, malgré la résistance opiniâtre de certains hommes politiques.

A propos de la médaille de 1870-71, nous lisons dans un journal de Strasbourg une lettre en réponse à une proposition faite par « un ancien combattant de 1870 » Et le journal en question ajoute : Quoique ce ne fût qu'une simple proposition, elle a eu le don de provoquer la réplique suivante d'une de nos charmantes lectrices ; nous tenons a donner cette réplique telle qu'elle nous est parvenue :

Monsieur le Directeur du Journal d'Alsace-Lorraine

Cher Monsieur,

J'ai lu avec plaisir votre excellent article du n° 33 ( 3 février 1910 ) sur la Médaille de 1870-71 et j'applaudis à vos nobles sentiments. Mais quoique je ne sois qu'une femme, je me permets de vous donner un petit conseil. Le ruban de la médaille de Sainte-Hélène était rayé de rouge et de vert ; cela ne marquait pas mal. Pourquoi choisiriez-vous pour nos malheureux vaincus de 1870 un rayé de noir et de blanc, deux couleurs qu'ils ont suffisamment vues en captivité, surtout du côté de Spandau et de Posen ? Laissez le noir et le blanc à la Prusse et usez tant en Alsace qu'en France de toute votre influence pour que la médaille de 1870 ait un ruban — vous croyez que je vais dire : tricolore ? « Eh bien ! non — un ruban noir et vert, deuil et espérance ! »

Renvoyé à M. le Ministre de la Guerre qui sera chargé de l'examen de la question.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 6 du 20 mars 1910, pages 3 et 4.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871
devant le Sénat

Quand paraîtront ces lignes, le Sénat sera en mesure de commencer la discussion du budget. La question de la Médaille commémorative est sur le point d'être résolue, mais, à l'heure qu'il est, il ne nous est pas encore possible d'affirmer d'une façon positive quel sera le résultat du vote de nos Sénateurs. A deux reprises, le bureau du Conseil Général s'est rendu au Palais du Luxembourg pour s'entretenir de la question avec quelques-uns des membres les plus influents de la Haute Assemblée. C'est ainsi que le vendredi 11 mars, M. le Président Général et MM. Commandant Galland, Capitaine Pougy, Hussenot-Desenonges, auxquels s'était joint M. de Courcy, Membre du Conseil Général, ont vu successivement MM. les sénateurs Vallé (Marne), ancien ministre, Poirrier (Seine), Vice-Président du Sénat, Général Langlois (Meurthe-et-Moselle), membre de notre Comité d'honneur, Paul Strauss (Seine), Aimond (Seine-et-Oise), de Pontbriand (Loire-Inférieure), Boudenoot (Pas-de-Calais) et Waddington (Seine-Inférieure), ce dernier, rapporteur de la Commission des Finances.

C'est dans un entretien avec l'un de ces sénateurs que nous avons appris que si, d'une part, la Commission sénatoriale de l'armée a émis un avis favorable au crédit de cent francs qui doit consacrer le principe de la médaille de 1870-1871, la Commission sénatoriale des Finances a, d'autre part, repoussé ce crédit. Il a donc fallu employer un autre moyen pour ne pas voir annuler définitivement le résultat obtenu à la Chambre des Députés. M. Gervais, sénateur de la Seine, avec MM. Aimond, Paul Strauss, Bassinet et un certain nombre de ses collègues, a bien voulu prendre l'initiative de déposer un amendement au budget de la Guerre, tendant à reprendre le crédit de cent francs déjà voté par la Chambre. Cet amendement modifie sur un point le dispositif déjà adopté : au lieu de stipuler que la médaille sera attribuée aux survivants de la campagne, il demande que cette distinction soit accordée aux combattants de 1870-1871. Dans une autre entrevue qu'ont eue au Palais du Luxembourg, le lundi 14 mars courant, le Président Général et MM. Pougy, Deligand et Hussenot-Desenonges avec M. Gervais, ce dernier a communiqué à la Délégation le texte de l'amendement qu'il va présenter au Sénat et lui a fait connaître les adhésions nombreuses qu'il avait déjà recueillies à cette date parmi ses collègues.

Ce même jour, la Délégation a eu l'occasion de s'entretenir avec un certain nombre d'autres sénateurs parmi lesquels nous citerons MM. Guérin, ancien ministre, Général Mercier, membre de notre Comité d'honneur, Flandin, Poirson, Bony-Cisternes etc., etc. Entre temps, M. le Président Général avait eu une entrevue particulière avec M. Raymond Poincaré, Sénateur et membre du Comité judiciaire de la Société, qui, dans une lettre rendue publique par le Petit Journal, avait déjà fait connaître son opinion favorable à la création de la médaille de 1870. M. Poincaré a promis à M. J. Sansbœuf d'appuyer le projet auprès de ses collègues dès qu'il se présentera sous une forme ou une autre devant le Sénat.

Grâce à ces multiples démarches, aux sympathiques et puissants concours qu'a rencontrés la Délégation du Conseil Général, nous espérons que, sous peu de jours, nous pourrons enregistrer un nouveau succès en faveur de la médaille commémorative de 4870-1871.

DEUX LETTRES

LETTRE A MM. LES SENATEURS

M. J. Sansbœuf, Président Général, a adressé à MM. les Sénateurs la lettre ci-après :

Paris, le 17 mars 1910.

Monsieur le Sénateur,

La Chambre des Députés, à une immense majorité ( 455 voix contre 28 ), a voté le principe de la création d'une Médaille à décerner aux combattants de la guerre franco-allemande. Le Sénat va être appelé à son tour à se prononcer sur cette question. Votre Commission de l'Armée s'est montrée favorable au projet ; par contre, votre Commission des Finances a émis un avis contraire. Les raisons qui l'ont fait agir sont, paraît-il, des difficultés d'ordre financier et administratif. Permettez-moi de vous assurer que ces difficultés ont été fortement exagérées et laissez-moi espérer que vous donnerez votre entière adhésion, à un projet dont la réalisation a non seulement pour but de rendre un juste hommage à ceux qui ont défendu la Patrie envahie, mais encore d'opposer une digue aux théories néfastes de l'antimilitarisme.

Au nom des 300.000 Vétérans des Armées de Terre et de Mer, dont 117.000 anciens combattants de la guerre franco-allemande, je viens vous prier, Monsieur le Sénateur, de bien vouloir signer l'amendement déposé par MM. Gervais, Strauss, Baudin, le Général Langlois et un grand nombre de vos honorables collègues, amendement qui a pour but de faire rétablir le crédit indicatif de 100 francs, supprimé par votre Commission des Finances.

Veuillez agréer, Monsieur le Sénateur, l'expression de nos sentiments reconnaissants et dévoués.

Au nom de la Société, « les Vétérans des Armées de Terre et de Mer 1870-1871 : »

Le Président Général, J. SANSBŒUF.

****

LETTRE A M. PREVET

Directeur du Petit Journal

D'autre part, M. le Président Général a fait parvenir à M. Prevet, Directeur du Petit Journal, la lettre suivante qui a paru en première page dans le numéro du jeudi 17 mars de ce quotidien  :

Monsieur le Directeur,

Le 11 février 1910, par 455 voix contre 28 — ( scrutin rectifié ) — la Chambre votait un crédit de 100 francs à titre indicatif pour inviter le ministre de la Guerre à déposer un projet de loi relatif à la création d'une médaille commémorative de la guerre franco-allemande. Le 9 mars 1910, la commission sénatoriale de l'armée, réunie sous la présidence de M. de Freycinet, se rangeait à l'avis de la Chambre. Cependant, quelques jours plus tard, la commission sénatoriale des finances repoussait le crédit voté par la Chambre et adopté au Sénat par la commission de l'armée. La principale objection soulevée par les adversaires du projet fut la difficulté qu'auraient les bureaux de la guerre à dresser la liste des combattants de la guerre franco-allemande.

Cette difficulté n'existe pas. En voici la preuve : La Société des Vétérans des Armées de terre et de mer compte à son actif plus de 117.000 anciens soldats de la guerre de 1870-71. Pour l'année 1910, la Société a pu établir, sans peine, avec pièces militaires à l'appui, les dossiers de plus de 88.900 sociétaires ayant combattu en 1870-1871 et pensionnés par elle. Dès lors, l'objection qui a été soulevée disparaît. Ce que la Société des Vétérans a pu faire, le ministère de la Guerre peut le faire beaucoup plus facilement encore ; ses bureaux, ses archives lui en fournissent les moyens. Il peut en outre faire appel au concours de toutes les municipalités de France. C'est ce qu'a pensé M. Gervais, sénateur de la Seine, qui a aussitôt repris sous forme d'amendement la proposition repoussée par la commission des finances, en stipulant toutefois que la distinction à décréter serait accordée exclusivement aux combattants de l'Année terrible.

Cet amendement a été aussitôt contresigné par MM. Paul Strauss, Bassinet, Noël, le général Langlois, Baudin, Gaston Menier, d'Alsace, Saint-Germain, Rivet, Poirson, Flandin Bony-Cisternes Eugène Guérin, Cabart-Danneville, Bérard, Humbert, Ermant, Aimond, etc., etc. Il continue à se couvrir de signatures et je suis convaincu que le Sénat ne se montrera pas moins empressé que la Chambre pour voter le crédit qui lui est demandé et qui doit assurer le principe de la création d'une médaille, attendue par tant de vieux braves avec la plus légitime impatience.

Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour remercier le « Petit Journal » au nom de tous les Vétérans, pour l'appui efficace qu'il a donné aux partisans de la médaille commémorative, et je vous prie d'agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération la plus distinguée.

Le Président Général, J. SANSBŒUF.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 7 du 5 avril 1910, pages 1, 10, 11, 12 et 13.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871
devant le Sénat

La question de la Médaille commémorative de 1870-1871 vient de franchir une nouvelle étape et des plus importantes. En effet, à la séance du 1er avril courant, le Rapporteur Général du budget, M. Gauthier, a déclaré à la tribune du Sénat, que le Gouvernement et la Commission étaient favorables au principe de cette médaille. De son côté, M. le Général Brun, Ministre de la Guerre, s'est engagé à étudier la question pour le dépôt du projet de loi, en conformité du vote émis par la Chambre des Députés dans sa séance du 1er février 1910.

Nous publions ci-après, page 10, le compte rendu in extenso de la partie de la séance dans laquelle ces déclarations ont été faites devant la Haute Assemblée.

Nous croyons fermement que devant l'engagement pris par le Ministre de la Guerre, nos Camarades Vétérans peuvent espérer de voir bientôt se réaliser le rêve qu'ils caressent depuis si longtemps et qui répond à leurs légitimes aspirations.

Nous nous faisons un devoir d'adresser nos plus chaleureux remerciements à M. le Ministre de la Guerre pour l'engagement qu'il a bien voulu prendre, ainsi qu'à MM. les Sénateurs pour l'adhésion presque unanime qu'ils ont donnée à notre projet.

Nous ne voulons pas oublier non plus dans nos remerciements MM. les Membres de la Commission de l'armée qui se sont montrés favorables à la création de la médaille, M. A. Gervais, Sénateur de la Seine, et ses collègues, signataires de l'amendement, qui a été présenté au Sénat.

Nous sommes reconnaissants aux journaux qui ont bien voulu nous aider dans notre campagne et plus particulièrement au Petit Journal, à son Directeur, M. Prevet, et à son rédacteur, M. René Lebaut, qui se sont faits nos auxiliaires auprès de l'opinion, pour faire rendre un hommage mérité aux valeureux combattants de l'Année terrible.

SÉANCE DU 1er AVRIL 1910

Nous publions ci-après le compte-rendu in extenso de la partie de la séance du Sénat dans laquelle est venue discussion en la question de la médaille commémorative de 1870-1871.

Journal Officiel du 2 avril 1910.

SÉNAT

Session ordinaire de 1910

COMPTE RENDU IN-EXTENSO. — 64e SÉANCE

Deuxième séance du vendredi 1er avril

SOMMAIRE

10. — Reprise de la discussion du budget du ministère de la Guerre. - Chapitre 3. - Amendement de MM. Gervais, Aimond et plusieurs de leurs collègues : MM. le vicomte de Montfort, Gervais, Maurice Rouvier, président de la Commission des Finances ; Gaudin de Vilaine, Dominique Delahaye, Le Provost de Launay, Boudenoot, le président, Félix Martin, le ministre de la Guerre, le général Mercier. — Adoption du chapitre 3.

PRÉSIDENCE DE M. ANTONIN DUBOST

La séance est ouverte à deux heures et demie.

10e REPRISE DE LA DISCUSSION DU BUDGET

M. le Président. — Nous arrivons, messieurs, à la discussion des chapitres du budget du ministère de la guerre. J'en donne lecture :

Ministère de la guerre

1re section. — Troupes métropolitaines.

3e partie. — Services généraux des ministères. Intérieur.

« Chap. 1er. — Ministre, sous-secrétaire d'Etat et personnel militaire de l'administration centrale, 1.660.325 francs. » Ce chiffre est inférieur de 1.000 francs à celui que la Chambre des députés a voté. Je mets aux voix le chiffre le plus élevé, c'est-à-dire celui de 1.661.325 francs, proposé par la Chambre des députés. ( Le chapitre 1er avec le chiffre de 1.661.325 fr., n'est pas adopté ).

M. le président. — Je mets aux voix le chapitre 1er avec le chiffre de 1.660.325 francs proposé par la commission des finances. ( Le chapitre 1er, avec le chiffre de 1.660.325 fr., est adopté. )

M. le président. — « Chap. 2. — Personnel civil de l'administration centrale, 2.207.300 francs. » Ce chiffre est inférieur de 8.200 francs à celui que la Chambre des députés a voté. Je mets aux voix le chiffre le plus élevé, c'est-à-dire celui de 2.215.500 francs, proposé par la Chambre des députés. ( Le chapitre 2, avec le chiffre de 2.215.500 fr., n'est pas adopté. )

M. le président. — Je mets aux voix le chapitre 2, avec le chiffre de 2.207.300 francs, proposé par la commission des finances. ( Le chapitre 2, avec le chiffre de 2.207.300 fr., est adopté. )

M. le président. — « Chap. 3. — Matériel de l'administration centrale. 304.820 francs, inférieur de 600 francs, au chiffre de 305.420 francs, voté par la Chambre des députés. Nous avons sur ce chapitre un amendement de MM. Gervais, Aimond, le général Langlois, Noël, Strauss, d'Alsace d'Hénin, Baudin, Guérin, Cabart-Danneville, Menier, Saint-Germain, Bassinet, Bérard, Ermant, Humbert, Poirson, Rivet, Flandin, Bony-Cisternes, Codet, Tillaye, Basire, Monsservin. Gomot, Sabaterie, Boudenoot, Lintilhac, Mazière, Chambige, Dupont, Le Roux, Reymond, Rambourgt, Louis Martin, Dufoussat, Pauliat, Milliès-Lacroix, Ournac, Gaudin de Villaine, Darbot, Dusolier, Poulle, Mézières, Bersez, ainsi conçu : Augmenter ce crédit de 100 francs.

M. le président. — La parole est à M. de Montfort.

M. le vicomte de Montfort. — Vous ne soutenez pas votre amendement, monsieur Gervais ?

M. Gervais. — Je le soutiendrai.

M. le président. — M. Gervais ne désire développer son amendement que s'il n'est pas accepté par la commission. Je crois, monsieur de Montfort, que vous désirez combattre l'amendement ?

M. le vicomte de Montfort. — Oui, monsieur le président.

M. le président. — Vous avez la parole.

M. le vicomte de Montfort. — C'est avec émotion, messieurs, que je monte à la tribune, et, en même temps, avec tristesse. Je n'avais pas l'intention de prendre la parole, sur cette question de la médaille de 1870. Il m'en coûte de le faire ; mais le discours de mon ami, M. de Goulaine, m'y oblige. Je le ferai avec modération, avec la conscience de remplir un devoir, et la volonté de dire loyalement ma pensée. ( Très bien ! sur divers bancs. )

Messieurs, en 1891, j'avais déjà combattu ardemment cette proposition, que la Chambre a repoussée six fois, et qu'aucun ministre de la guerre depuis M. de Freycinet jusqu'au général Brun, en passant par mon vieil ami, le général Billot, n'a voulu accepter. Aujourd'hui la même proposition est renouvelée, savamment préparée, avec une inlassable persévérance. Elle a été adoptée à une grande majorité par la Chambre, et elle le sera sans doute par le Sénat. Eh bien, quand je vois jusqu'à de vieux camarades comme le général Langlois et mon ami le comte d'Alsace signer cette proposition, je me demande avec anxiété qui a raison ? Mais en même temps je me dis qu'une défaite se répare par une victoire, seulement par une victoire, et non pas avec un monument ambitieux. D'ailleurs les lettres que je reçois de nombreux camarades de cette époque, me consolent largement ; une seulement suffira pour vous indiquer le sentiment d'un grand nombre d'entre eux qui protestent contre l'idée de commémorer cette campagne par une médaille.

M. Gaudin de Villaine. — C'est un honneur d'y avoir pris part.

M. le vicomte de Montfort. — Ce n'est pas mon avis, mon cher collègue. Je défends mon opinion et non la vôtre. L'orateur lit une lettre d'un de ses camarades, ancien sous-lieutenant du 3e escadron du 10e cuirassiers à Metz en 1870, qui proteste contre la création de la médaille commémorative, puis il continue ainsi : Certes, messieurs, nous n'avons pas à rougir de nos défaites : mais quel besoin avons-nous donc, en vérité, de nous en glorifier sans cesse ? Et si !a modestie sied au vainqueur, ne convient-elle pas mieux encore au vaincu ? Tout le monde fut — ou dut être, ne l'oubliez pas — soldat en 1870, et, en prenant les armes contre l'envahisseur, tous les Français valides ont rempli un devoir...

M. Empereur. — Si ces généraux avaient fait leur devoir comme les soldats, les choses auraient certes mieux tourné !

M. le vicomte de Montfort. — ...rien qu'un devoir et le plus élémentaire de tous les devoirs, ce qui vraiment ne paraît mériter aucune récompense spéciale. Quant à ceux qui, malgré nos désastres, trouvèrent moyen de s'embusquer au lieu de marcher à l'ennemi, la nécessité ne s'impose en aucune façon, me semble-t-il, de les décorer. ( Très bien ! à droite et sur divers bancs au centre. )

On dit, pour défendre l'idée, que déjà, sous l'empire, des médailles commémoratives ont existé pour les campagnes de Crimée, d'Italie, du Mexique ; et on ajoute que, depuis la guerre, d'autres ont été créées pour le Dahomey, le Tonkin et Madagascar. On a même constitué — et je m'honore grandement de l'avoir proposé et fait adopter, par la Chambre, en 1894 — une médaille « coloniale » pour tous les militaires et marins ayant pris part à des expéditions outre-mer. Et c'est avec raison, car rien n'est plus juste que cette modeste récompense accordée à tous ces braves qui, dans d'obscures escarmouches, sous les climats les plus meurtriers, ont souvent fait preuve de plus de courage et d'endurance que les soldats engagés dans les grandes guerres.

Mais toutes ces médailles, sans aucune exception, messieurs, rappellent des victoires, non des défaites, et c'est avec fierté que les titulaires peuvent dire : « J'étais à Malakoff, à Magenta, à Puebla, à Sfax ou à Son-Tay ». ( Approbation sur divers bancs. )

Sans doute, le culte attentif et pieux d'un souvenir de deuil est une idée juste ; mais radicalement fausse est la pensée de glorifier des hommes n'ayant fait, après tout, que leur strict devoir et qui, de plus, ont été vaincus par la fortune. ( Applaudissements. )

Tout d'abord, je n'ai jamais dit qu'il y ait, à « rougir d'une défaite ». Et véritablement l'assertion eut été par trop étrange dans la bouche d'un vieux soldat ayant quelque raison d'être fier d'avoir combattu à Borny, à Gravelotte, à Saint-Privat, etc. J'ai dit seulement, dès le premier jour, et je le répète, que glorifier, comme on veut le faire, le souvenir cruel de journées de batailles malheureuses, est véritablement excessif. Encore une fois, jamais je ne m'y prêterai, en ce qui me concerne. On affirme que c'est le « seul moyen » d'enrayer la propagande antipatriotique de M. Hervé et consorts. Je n'en crois rien, d'abord, et j'ajoute que si nous n'avions pas d'autre ressource contre ces doctrines infâmes, c'est que nous serions en vérité bien malades.

Ma conviction est profonde que, grâce à Dieu, nous n'en sommes pas encore là, en France. On a aussi trouvé fort ingénieux de comparer la médaille de 1870 à celle de Sainte-Hélène. Je ne saurais davantage admettre, à aucun degré, cette assimilation. La médaille de Sainte-Hélène, rappelle, en effet, la grande épopée impériale entière, c'est-à-dire nos aigles victorieuses flottant sur toutes les capitales de l'Europe, et il serait, en vérité, difficile de soutenir que cette période de notre histoire nationale ne rayonne pas, entre toutes d'une incomparable gloire. Pourrait-on soutenir sérieusement qu'il en est de même pour la guerre de 1870 ? ( Très bien ! très bien ! à droite et au centre. )

Et puis, en réalité, messieurs, à qui serait attribuée cette médaille.

M. Le Provost de Launay. — Très bien ! Voilà la question !

M. Rouby. — On la donnera à tous ceux qui ont fait campagne.

M. le vicomte de Montfort. — Faudrait-il donc la donner alors à tous ces bravaches costumés en « vengeurs » de toute nuance, qui n'ont jamais brûlé une cartouche, et dont beaucoup ont lâché pied sur le champ de bataille au premier coup de fusil ? A tous les gardes nationaux mobilisés, braves gens à coup sûr, qui ont tout simplement fait l'exercice sur la place de leur village, à 300 lieues de l'ennemi ? A tous ceux enfin qui, coiffés du képi à bande rouge, se sont embusqués dans les mairies et les préfectures, pour, néanmoins devenir — comme tel ou tel que vous connaissez bien — de grands hommes dans la politique ? Non, en vérité cela ne serait pas sérieux. ( Applaudissements sur divers bancs. )

Ah ! sans doute, les très honorables promoteurs et très éloquents défenseurs de la proposition ne sont animés que des plus nobles intentions. Ils veulent honorer le patriotisme vaillant et malheureux à l'égal de celui qui, en d'autres temps, fut victorieux. Gloria Victis ! ont-ils dit, et de tous côtés les artistes ont mis en marbre ou en bronze cette maxime, flatteuse sans doute, mais, à coup sûr, peu virile. Eh bien, non ! non ! cent fois non ! quoi qu'on en puisse dire, la défaite n'est jamais glorieuse, et la seule attitude qui convienne au vaincu c'est le recueillement — comme fit la Prusse après Iéna et la Russie après Sébastopol — c'est-à-dire la préparation à la victoire future.

Oui ! mais jusque-là, n'est-il pas vrai, mes vieux compagnons d'armes ? nous sommes toujours des vaincus et nous devons garder médailles et récompenses pour nos enfants qui, j'en ai la ferme confiance, ramèneront un jour la victoire sous nos drapeaux. Dieu, que nous avons bien servi jadis, nous viendra en aide. Non ! jusqu'à ce que sonne l'heure que nous attendons depuis quarante années, nous ne pouvons pas oublier ! Ces drapeaux sur lesquels ont coulé notre sang et nos larmes, ces drapeaux que nous avions juré de venger, ils sont encore à Berlin ! Et jusqu'au jour où, les armes à la main, nous aurons pu les reconquérir, je ne saurais, au moins pour ma part accepter de glorifier, par une médaille commémorative, un passé dont le souvenir étreint douloureusement mon cœur de Français et de soldat.

Oui, et aux promoteurs de l'idée, je réponds, comme Chanzy, pour le bâton de maréchal de France : « Que ceux qui le veulent aillent le chercher de l'autre côté du Rhin. » ( Vifs applaudissements à droite et au centre. )

Et puis vraiment, messieurs, ne trouvez-vous pas que nous abusons étrangement de ce mot « héroïsme » ? N'est-ce pas une idée fausse et déprimante que de considérer comme héroïque de faire son devoir ? Autrefois, quand un soldat était tué à l'ennemi, on disait, comme pour la Tour d'Auvergne « Mort au champ d'honneur ! » Aujourd'hui, on met l'héroïsme partout à toutes sauces, accidents, naufrage, ballons, etc. ; sans doute, il y a des cas exceptionnels, mais ils sont rares.

Je reconnais cependant qu'il ne s'agit plus aujourd'hui que d'une étude, qu'il est seulement question des combattants et non des survivants comme en 1891. Je ne ferai donc pas d'opposition pour le moment. J'attendrai la discussion du projet qui sera présenté par le ministre. Mais si le principe est adopté J'estime que — au moins — une distinction s'impose, proposée par le général Langlois en 1907 et aujourd'hui par l'amendement de M. Delahaye, auquel je me rallie complètement...

M. Dominique Delahaye. — Merci, mon colonel !

M. le vicomte de Montfort. — ...un insigne particulier pour les engagés mineurs — qui ont fait plus que leur devoir et un autre pour les blessés. ( Très bien ! très bien ! et applaudissements sur un grand nombre de bancs. )

M. Gervais. — Messieurs, je viens, moi aussi, soutenir avec modération l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter au Sénat. Il a pour objet de faire revivre devant vous le texte d'une disposition votée par la Chambre des députés à une très forte majorité, et je crois pouvoir justifier simplement cette disposition qui, je l'espère, sera adoptée par le Sénat. Les objections qui ont été présentées contre cette disposition, d'abord à la Chambre puis ici par l'honorable M. de Goulaine et tout à l'heure par l'honorable M. de Montfort, se résument en une principale : « On ne peut pas glorifier une défaite. »

Il ne s'agit pas, messieurs, de glorifier une défaite, il s'agit de rendre justice et, en même temps, que l'on donne il ceux qui ont fait leur devoir une récompense qu'ils sollicitent, on donne aussi à ceux qui n'ont pas pu porter et ne portent pas un jugement juste sur cette époque un enseignement utile. Les actes valent par le moment où ils sont faits. On a pu, pendant un certain temps, ajourner la solution de cette question ; il peut paraître qu'aujourd'hui elle a quelque utilité au point de vue public. Tout dans la guerre de 1870 n'est pas un désastre lamentable ; il y a eu des faits glorieux et ils sont nombreux.

M. Gaudin de Villaine. — Tout a été glorieux, même les défaites ! ( Mouvements divers. )

M. Gervais. Je dis que, si les désastres sont lamentables et regrettables, ils sont cependant honorés d'un nombre considérable de faits glorieux d'héroïsme collectif et d'héroïsme individuel.

M. le comte de Goulaine. — Ils ont été récompensés, ceux-là.

M. Gervais. Je ne veux pas faire ici le résumé de la guerre de 1870. Mais d'abord, dans la première partie de la lutte, dans le premier effort de l'armée impériale, on peut citer la charge de Sedan qui fut saluée par l'empereur Guillaume...

M. Gaudin de Villaine. — Et la charge de Reichshoffen ?

M. Gervais. — Parfaitement ! celle de Reichshoffen et le combat de Wissembourg. Gravelotte et Bazeilles et tant d'autres, mais surtout — j'y reviens — cette charge du plateau d'Isly qui reçut le salut impressionnant de l'empereur Guillaume, qui, ému par l'héroïsme désespéré de nos soldats, s'inclina devant la valeur de ces « braves gens ». Cela ne mérite-t-il pas d'être glorifié ? ( Très bien ! très bien ! )

Dans la première partie de la guerre, il y a donc eu ces faits. Il y en a eu dans la seconde partie, sous le gouvernement de la défense nationale : lorsque la République assuma la tâche effroyable de sauver l'honneur, il y eut Châteaudun et ses francs-tireurs, Paris et ses gardes nationaux, qui firent vaillamment leur devoir et laissèrent sur les champs de bataille tant de nobles cœurs.

M. Paul Strauss. — Parfaitement ! Vous pouvez parler de Paris, il le mérite !

M. Gervais. — Il y aurait donc, messieurs, dans cet acte qui commémorerait d'un signe apparent le souvenir de ces événements, pour ceux qui ne les ont pas vus, un sujet de méditations utiles.

M. l'amiral de Cuverville. — Vous avez raison.

M. Gervais. — Il ferait revivre devant leurs yeux ces faits qui révèlent que même aux heures les plus douloureuses, quand l'armée était assaillie par des adversaires dix fois plus nombreux, le pays envahi, la capitale investie, la nation en proie à la misère, et nos troupes en butte aux rigueurs d'un hiver exceptionnel, on ne désespéra pas du salut de la France C'est dire qu'à aucun moment nos vertus françaises n'avaient subi de défaillance. ( Très bien ! très bien ! ) Tout cela est beau à dire et utile à affirmer.

Ce souvenir fera donc revivre toute cette campagne avec les belles figures que vous savez : c'est l'armée du Nord avec Faidherbe, c'est l'armée de la Loire avec Chanzy, c'est le Gouvernement de la défense nationale avec Gambetta...

M. Ferdinand Dreyfus. — Et avec M. de Freycinet.

M. Gervais. — ...et avec son glorieux lieutenant qui est ici, M. de Freycinet. ( Applaudissements prolongés. )

M. Halgan. — Et Patay, avec Charette.

M. Gervais. — Et Patay, avec Charette, car je ne fais pas de distinction et j'estime que cette manifestation est justement une de celles qui peuvent permettre aux Français de se réunir. Et, croyez-vous, messieurs, qu'il y ait beaucoup de meilleures occasions que celles-ci pour permettre aux Français de se rencontrer, de se joindre et de s'unir dans un même sentiment ? ( Vive approbation. )

Souhaitons qu'elle s'offrent plus souvent à nous ; cette médaille donc se justifie, à mon avis, par ces simples considérations. Il ne s'agit pas ici de grossir les faits, ni de les enfler outre mesure, mais je le répète pour donner à ma pensée son sens exact, dans un esprit très net de modération, il s'agit de rappeler qu'il y eut, à un moment douloureux de notre histoire, un sentiment unanime qui groupa tous les cœurs français dans un même élan ; qu'il n'y eut pas alors de division de partis ni de croyances ; mais que tout le monde fit son devoir pour défendre la patrie.

Donc il ne s'agit pas — et je me résume — de glorifier une défaite. J'ai protesté contre cette interprétation. J'ajoute que si nous ne voulons pas honorer un désastre, ce n'est pas une raison pour nous humilier à l'excès. L'étranger, je l'ai rappelé, nous a rendu un solennel hommage. La conscience nationale ne peut-elle le faire avec plus d'autorité encore et ne peut-elle pas dire aussi qu'ils furent de « braves gens », ceux de l'armée impériale et ceux de la défense nationale, les jeunes et les vieux, engagés mineurs et patriotes âgés, soldats mobiles, mobilisés, francs-tireurs de Châteaudun et volontaires de Garibaldi ? Il ne faut pas que les générations nouvelles voient toujours ces événements de 1870 au travers de souvenirs découragés. Il faut tendre le ressort de l'énergie nationale qui menace de s'affaiblir et affirmer que les vertus de notre nation sont restées et restent avec toute leur puissance.

L'insigne du souvenir confondra dans une commune désignation du devoir bien rempli les hommes les plus obstinément attachés aux régimes passés et ceux qui rêvent les formes les plus inédites de gouvernement ; car ils ont combattu à cette époque, et, quels qu'aient été leurs sentiments, avec un égal amour du sol natal. Ainsi la réalité des faits répondra au parti pris des passions et aux illusions des théories. Enfin ce signe qui les réunira apparaîtra comme un enseignement pour ceux d'aujourd'hui, les jeunes, et leur montrera que si, dans ce passé d'hier, il v a eu des erreurs et des fautes à jamais déplorables, il y a aussi, pour l'avenir, des raisons d'espérer en des destinées réparatrices. ( Très bien ! très bien ! et vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs. )

M. Maurice Rouvier, président de la commission des finances. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. le président de la commission des finances. Messieurs, je voudrais, au nom de la commission des finances, expliquer au Sénat comment la question s'est présentée devant elle. La Chambre n'a voté aucune formule, aucun texte législatif imposant, ou exprimant le vœu de voir créer une médaille commémorative de 1870 : elle a augmenté un chapitre au ministère de la guerre d'une somme de 100 fr. et, pour justifier cette augmentation, il a été dit que c'était une manifestation pour inviter M. le ministre de la guerre soit à étudier la question, soit à préparer un projet de loi.

M. le ministre de la guerre ne s'était pas associé à cette démonstration qu'il avait combattue et sur laquelle il avait fait des réserves. A la commission des finances, nous nous sommes donc trouvés en présence d'un de ces nombreux cas où la Chambre des députés, suivant un système qui n'a jamais été accepté ni par le Sénat ni par sa commission des finances, avait attaché une portée déterminée à une augmentation d'ailleurs infime de crédit.

Lorsque nous avons eu l'honneur d'entendre les explications de M. le ministre de la guerre sur son budget, nous lui avons demandé si, contrairement à l'attitude qu'il avait prise devant l'autre Assemblée, il comptait étudier la question soulevée par cette augmentation de crédit. Il nous a répondu négativement. Dans ces conditions, nous avons repoussé l'augmentation de 100 fr. Nous en serions restés là si l'honorable M. Gervais n'avait, sous forme d'amendement, demandé que l'on augmentât ce chapitre d'une somme de 100 fr., mais sans présenter aucun texte législatif, à part la note suivante : « A titre d'indication, afin d'inviter le ministre de la guerre à présenter un projet à la Chambre pour la création d'une médaille à décerner aux combattants de la guerre de 1870-1871. »

La question s'est de nouveau posée dans les conditions que j'indiquais tout à l'heure. Il n'échappe à personne que cette annotation au bas d'un crédit n'a aucune valeur, puisque le Sénat n'est pas appelé à voter sur elle. Il s'agit purement et simplement d'augmenter le chiffre soumis au vote du Sénat d'une somme de 100 fr. M. le ministre nous a déclaré qu'il ne s'opposait plus à cette augmentation.

Quant à M. le rapporteur général, il a tout à l'heure déclaré au Sénat que la commission des finances n'insistait pas ; mais il ne s'ensuit point qu'elle abandonne la doctrine qu'elle a toujours cherché à faire prévaloir, qui a eu jusqu'ici l'adhésion du Sénat, qui est protectrice des droits constitutionnels, à savoir qu'on ne fait pas, par une augmentation de plus ou moins grande importance, une injonction ayant une valeur législative. ( Très bien ! très bien ! )

M. le président. — La parole est à M. Gaudin de Villaine.

M. Gaudin de Villaine. — Messieurs, comme l'ont bien dit tout à l'heure, de son banc M. l'amiral de Cuverville, et à la tribune l'honorable M. Gervais, ce n'est pas une récompense que nous venons demander, c'est un souvenir, un souvenir glorieux. Permettez, messieurs, à un ancien engagé volontaire en 1870, nommé sous-lieutenant au cours de la campagne et il le rappelle fièrement en dehors de tout souci politique, par le gouvernement de la défense nationale, de venir ici plaider la cause de ses vieux camarades d'autrefois. Comme officier, messieurs, j'ai eu la faveur d'une décoration pour mes services de guerre, mais combien d'autres humbles soldats d'alors, rentrés à l'usine ou au village, qui n'ont rien obtenu et qui, pourtant, dans leur humilité sublime, furent des héros ! ( Très bien ! très bien ! sur un grand nombre de bancs. )

On vient critiquer l'idée de cette médaille de 1870. Il n'y a pas, messieurs, que la victoire qui ait une auréole. Nous avons assez souffert à cette époque, et la souffrance n'est-elle pas, elle aussi, une rédemption ? ( Très bien ! très bien ! )

Ceux qui ont fait la campagne de 1870 d'un bout à l'autre, ont bien mérité, je crois, la modeste récompense honorifique que je réclame pour eux aujourd'hui. Une autre raison peut être invoquée en faveur du projet. Au moment où l'antimilitarisme fait tant de progrès ; au moment où l'on donne tant de décorations diverses et récompensant des services variés, dans nos villes et dans nos campagnes, il serait opportun, consolant, réconfortant, de reconnaître, comme un souvenir vivant du passé et comme un exemple pour l'avenir, parmi les anciens, ceux qui furent jadis au sacrifice et il l'honneur. ( Très bien ! très bien ! )

Oui, un tel souvenir réveillé parmi nous, messieurs, atteint un autre but utile et consolant, celui de nous grouper dans un hommage unanime, qui fait oublier tout ce qui divise et fait l'union des cœurs parmi les représentants de la nation. ( Nouvelle approbation. ) Oui, messieurs, montrons-nous fiers de nos souvenirs douloureux et de nos revers immérités, car si nous fûmes vaincus, nous n'avons jamais désespéré, et nous avons relevé assez le drapeau de la France pour qu'on l'ait salué par delà les frontières ; car si tout semblait perdu, il nous restait l'honneur, et une Assemblée française, ne peut aussi que renouveler cet hommage de justice envers le passé et d'espérance pour l'avenir. ( Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs. )

M. le président. — La parole est à M. Delahaye.

M. Dominique Delahaye. — M. le président de la commission des finances nous a dit très à propos qu'une augmentation de 100 francs au budget n'avait pas la valeur d'une prescription législative. Mais vous n'oubliez pas, monsieur Rouvier, et vous, messieurs, que mon amendement, qui a eu la faveur d'être accepté par un adversaire résolu de la médaille, M. le colonel de Montfort, est, lui, une prescription législative. Convient-il de le réserver pour la loi de finances ou de le voter maintenant ? Vous me le direz.

M. le président de la commission des finances. — Votre amendement vient régulièrement à la loi des finances.

M. Dominique Delahaye. — Je le veux bien, mais si le Sénat juge à propos de le voter maintenant, je n'aurai plus il remonter à la tribune sur ce sujet.

M. le président de la commission des finances. — Le Sénat est libre.

M. Dominique Delahaye. — J'ai été un adversaire plus déclaré que M. le colonel de Montfort de cette médaille. Il n'y a pas plus d'un an, un officier de Saumur, chargé par les anciens combattants de 1870 de récolter des adhésions — je ne sais plus son nom et son grade — m'écrivit pour me demander ma collaboration. Je la lui ai refusée nettement, en lui disant : « Je ne peux pas devenir partisan d'une commémoration de la défaite. » J'avoue que j'ai commencé à changer d'avis quand une voix de Lorraine, celle de Barrés, nous a dit : « Cette médaille convient. » Je me suis dit : « Pourquoi vraiment, toi qui es de l'Anjou, serais-tu plus chatouilleux en cette matière de patriotisme que le Lorrain Barrés ? » ( Sourires. )

Pensant que je n'avais pas lu Claretie à ce sujet, quelqu'un du Sénat me dit : « Mais lisez donc Claretie ! » Je ne lis jamais Claretie. ( Rires. )

Plusieurs sénateurs. — Vous avez tort !

M. Dominique Delahaye. — Alors, je me suis fait apporter le journal le « Temps » à mon banc et j'ai parcouru l'article d'hier de M. Claretie. Il nous fait entendre une voix de Strasbourg favorable à la médaille de 1870. La Lorraine et l'Alsace, c'est vraiment plus qu'il n'en faut pour me déterminer à vous proposer cette médaille. Mais il y faut un certain tempérament tout de même, car, n'oubliez pas qu'à l'étranger, afin de nous représenter comme des gens peu chatouilleux, on dira peut-être : « C'est la commémoration de la défaite. »

Vous dites que vous voulez que ce soit une récompense et un souvenir. Dans les récompenses, il y a des degrés, comme dans la vertu, comme dans l'effort. ( Rires. ) Eh bien, ces degrés, je les ai cherchés et grâce à l'avis d'un colonel, mon premier adhérent, il semblerait que peut-être je les aie trouvés. En effet, à celui qui, jeune, sans obligation, partit, comme M. Gaudin de Villaine, comme nombre d'autres pour la défense de la patrie, je donne une petite étoile que nous appellerons, sans faire tort à la Légion d'honneur, l' « étoile des braves ». A ceux qui furent blessés et n'obtinrent pas la Médaille militaire, parce qu'il n'y en a pas assez, nous donnerons une agrafe, nous panserons la blessure par le petit bandeau du souvenir ( Très bien ! très bien ! à droite. )

Enfin, à ceux qui sont officiers, à ceux qui, certes, ont été des vaillants à cette époque, et qui ont persévéré, à ceux qui vont rentrer demain dans la vie civile, qui n'auront pas la croix, parce qu'il n'y en a pas assez, à ceux-là, pour que la gradation des récompenses soit complète, accordez la Légion d'honneur, c'est-à-dire 150 croix. Je modifierai mon amendement ; je ne mettrai plus « capitaines et officiers supérieurs » pour le cas plutôt invraisemblable où il y aurait encore deux ou trois lieutenants restés pendant quarante et un ans dans l'armée. Le pays entier applaudira, et l'étranger, voyant que vous mettez des degrés dans la récompense, ne pourra plus songer une minute à plaisanter votre médaille.

Enfin, je la demande uniquement pour les combattants. Vous me direz qu'il est assez difficile de connaître les combattants. Ce n'est pas très difficile, et d'ailleurs, vous n'êtes pas gens à reculer devant une difficulté ; dans tous les cas, ce n'est pas impossible, le mot n'est pas français. Il y a d'ailleurs des témoins dans les régiments, dans les compagnies, dans les escadrons, dans les bataillons ; il y a encore des survivants, et l'on pourra bien constater si tel était, un combattant, si tel autre ne l'a pas été. Si vous voulez aller au-delà des combattants je ne vous combattrai pas, mais enfin je crois qu'il serait sage de s'en tenir aux combattants ( Très bien ! ) autrement vous affaibliriez la valeur de la médaille.

Ainsi présentée, je ne pense pas que la proposition puisse souffrir de difficulté. Et maintenant, laissez-moi vous dire, au sujet de la parole que l'on a tant répétée et à laquelle je ne m'associe pas : « Y penser toujours, n'en parler jamais », qu'il serait peut-être temps de la transformer en celle-ci : « Y penser toujours, en parler souvent, ou tout au moins quelquefois. » Il y a quelque chose qui s'oppose à ce que l'on en parle quelquefois. Nous, dont les cheveux ont blanchi — quand ils ne sont pas tombés — nous ne songeons pas assez à la différence de mentalité des anciennes et des jeunes générations. Figurez-vous quel a été mon étonnement, il y a quelques jours, en rencontrant dans un journal un monsieur qui avait fait des études complètes, devant lequel on parlait de la guerre de 1870 et qui répondit : « Je vous avoue que je ne sais pas ce que c'est. » ( Exclamations sur un grand nombre de bancs. )

C'est un fait, messieurs. Parmi les gens de l'école primaire et dans les régiments, vous trouvez beaucoup de gens qui ne savent pas ce que c'est que la guerre de 1870. ( Nouvelles exclamations. ) Je vous assure que je n'exagère rien. Les jeunes générations n'ont pas vécu notre vie. De même que l'on dit que chacun doit faire son expérience, que l'expérience du père sert rarement à son fils, parce que c'est une chose qu'il faut acquérir soi-même, de même la connaissance de la vie du passé, surtout d'un passé relativement récent, échappe aux jeunes générations. Les survivants de l'année terrible ont à peu près la soixantaine. En leur accordant une moyenne de dix ans de vie...

Un sénateur à droite. — Vous n'êtes pas généreux.

M. Dominique Delahaye. — Je parle d'une moyenne ; et comme vous êtes tous, mes chers collègues, des hommes supérieurs, cela ne vous regarde pas. ( Sourires. ) Je disais que la moyenne de la vie humaine, pour les gens qui ont aujourd'hui soixante ans, ne saurait dépasser dix ans. Je pourrais même indiquer un chiffre moindre, mais je ne voudrais pas leur donner trop peu d'années à vivre. Eh bien, pendant dix ans encore, on verra, dans toute la France, sur la poitrine de ceux qui ont combattu en 1870, un insigne qui n'aura pas la banalité de tous nos autres rubans ; ce sera, un sujet de conversation ; ce sera un renouveau qui rappellera les souvenirs de 1870 et, peu à peu, sans y prendre garde, les jeunes générations apprendront, sans que personne puisse s'y tromper, ce que fut l'épreuve de 1870. De sorte que c'est à un point de vue utilitaire que je me place pour dire que cette médaille dont je ne voulais à aucun prix l'année dernière, je vous prie de la voter parce qu'elle me semble utile et nécessaire. ( Très bien ! très bien ! sur divers bancs. )

M. le président. — La parole est à M. Le Provost de Launay.

M. Le Provost de Launay. — Messieurs, j'étais, comme M. Delahaye, l'adversaire de cette distinction — je ne suis pas suspect, car je crois que j'aurais droit à cette médaille — je suis prêt à m'y rallier si l'on veut bien me dire comment le ministre fera pour distinguer ceux qui, à cette époque, ont fait leur devoir et ceux qui ont fait le contraire.

M. le comte de Goulaine. — Je me rallie à votre proposition. Je ne voudrais pas qu'on se méprît sur les paroles que j'ai prononcées à la tribune !

M. Le Provost de Launay. — Quand un homme va au Maroc, quand il fait la compagne d'Italie ou de Crimée, je m'explique bien comment on sait qu'il a fait la campagne. C'est facile à vérifier ; puisqu'il a été à l'ennemi, il doit en porter le signe extérieur. Mais je ne m'explique pas comment, lorsqu'il est resté en France, on fera pour distinguer celui qui a fait son devoir de celui qui s'est embusqué quelque part pour ne pas aller au feu ou qui a jeté son fusil pour se rendre sans se battre.

M. Rouby. — Ce sont des cas exceptionnels.

M. Le Provost de Launay. — Comment distinguera-t-on les mobiles ou les mobilisés qui n'ont jamais vu le leu de ceux qui ont réellement combattu ? Si vous pouvez arriver à faire cette sélection, si vous êtes outillé pour y réussir, je vote des deux mains avec vous. Mais si vous me dites, au contraire, que vous allez prendre tous les hommes de soixante ans, parce que tous ont été immatriculés d'une façon quelconque en 1870, et que vous allez leur donner le ruban, non, je n'en veux pas. ( Approbations à droite. )

M. de vicomte de Montfort. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. Boudenoot. Je la donnerai ensuite à M. Félix Martin.

M. le vicomte de Montfort. — Et moi ?

M. le président. — Je vous la donnerai ensuite.

M. Boudenoot. — Je tiens à donner simplement connaissance au Sénat, au nom de la. commission de l'armée qui m'en a chargé, du projet de résolution quelle a voté après avoir entendu M. le ministre de la guerre. Voici cette résolution :

« La commission de l'armée émet un avis favorable au crédit de 100 fr., pour l'étude de la création d'une médaille commémorative en faveur des combattants de 1870-1871, mais sous la réserve que M. le ministre de la guerre présenterait un projet de loi réglant les conditions dans lesquelles cette médaille serait attribuée. » ( Très bien ! très bien ! sur un grand nombre de bancs. )

M. le comte de Goulaine. — Dans ces conditions, je me rallie absolument au projet de résolution.

M. Le Provost de Launay. — Moi aussi !

M. Boudenoot. — Vous comprenez, messieurs, la réserve de la commission de l'armée. Elle est favorable à la création de la médaille, mais à la condition qu'elle ne soit accordée qu'aux véritables combattants.

M. Le Cour Grandmaison. — Nous sommes tous d'accord.

M. le comte de Goulaine. — Ce n'est pas comme cela qu'on l'avait présentée.

M. Boudenoot. — Si M. le président n'y voit pas d'inconvénient, on pourrait proposer au Sénat de faire sienne la résolution de la commission de l'armée. ( Très bien ! très bien ! )

M. le président. — Je ne verrais pas d'inconvénient, une fois que le budget sera voté, à ce que vous fissiez de l'ordre du jour de la commission de l'armée une motion par laquelle le Sénat ferait connaître son sentiment. Le règlement serait ainsi respecté et les promoteurs de la mesure proposée auraient une suffisante satisfaction. ( Très bien ! très bien ! ) Mais auparavant, je vais donner successivement la parole à M. Félix-Martin, puis à M. de Montfort, qui désirent, je crois, combattre la proposition.

M. Boudenoot. — Je vais rédiger, monsieur le président, un ordre du jour dans ce sens.

M. Félix Martin. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. Félix Martin.

M. Félix Martin. — Je ne méconnais pas les actes d'héroïsme qui ont été accomplis en 1870. Ils ont été nombreux et admirables ; mais j'ai la ferme conviction que si tout le monde avait accompli, non pas des actes d'héroïsme, mais simplement son devoir, nous n'aurions pas été battus comme nous l'avons été. Il y a eu des défaillances. Vous voulez accorder une médaille à tous ceux qui ont été appelés sous les drapeaux. Même avec la réserve de la commission de l'armée, je voterai contre son ordre du jour.

M. le vicomte de Montfort. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. de Montfort.

M. le vicomte de Montfort. — Je n'ai que deux mots à dire. Je savais bien d'avance que les raisons de sentiment ne seraient pas convaincantes, et je n'ai pas la prétention de convaincre le Sénat. Mais, à ceux qui ont fait revivre après quarante ans les souvenirs douloureux de l'invasion, je dirai ce que disait à ses hommes, en 1895, mon vieil ami le comte de Bagneux, capitaine des mobiles et président de l'association des anciens mobiles :

« La question de la médaille commémorative de la guerre de 1870 a été, de nouveau, posée et agitée. Vous n'avez pris aucune part aux manifestations qui se sont produites à ce sujet, ni signé aucune pétition, car vous avez compris, avec la sagacité normande, que ceux qui ont supporté le suprême effort de la défense nationale ne sauraient prétendre à aucune récompense. ( Très bien ! sur divers bancs. )

« A-t-on jamais vu des fils accourus aux appels désespérés de leur mère affalée et pantelante au foyer des ancêtres, réclamer une médaille de sauvetage ?... Et, quand cette mère, qui saigne d'une large blessure, s'appelle la France ; que l'héritage livré au pillage est le sol sacré de la patrie, vous brigueriez une médaille, vous, les moblots, les derniers soldats de l'ultime combat ?... « Non, n'est-ce pas ? vous savez trouver la récompense dans le devoir accompli, et cela vous suffit. » ( Vive approbation sur les mêmes bancs. )

Encore une fois, messieurs, je ne puis pas ressentir comme tant d'autres la poésie, la nostalgie de la défaite, et je resterai irréductible dans le souvenir de mes camarades et amis qui, à cette époque douloureuse, sont morts pour d'honneur de la patrie. ( Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs. )

M. le ministre de la Guerre. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. le ministre de la Guerre.

M. le ministre. — Messieurs, lorsque la question posée aujourd'hui devant le Sénat est venue en discussion à la Chambre des députés, tout en rendant hommage aux actes d'héroïsme très nombreux, accomplis par les troupes de toute espèce qui ont été levées en 1870, troupes actives, mobiles, mobilisés, formations de toute sorte...

M. Paul Strauss. — Francs-tireurs !

M. Lannelongue. — Et médecins ! ( Mouvements divers. )

M. le ministre. — ...j'avais cru devoir m'opposer à la proposition présentée. Je m'y suis opposé pour deux raisons : la première, c'est que je ne voyais pas réellement l'utilité de commémorer par une médaille le souvenir des heures les plus douloureuses et les plus sombres de notre histoire. ( Très bien ! très bien ! ) ; la deuxième, c'est que, comme j'en prévenais la Chambre, j'allais me trouver, pour l'exécution de la décision prise, en présence de difficultés que je considérais comme insurmontables ( Très bien ! très bien ! ) difficultés provenant de ce que la plupart des corps mobilisés à ce moment n'ont pas conservé d'archives. Nous ne pourrons par conséquent, pour cette catégorie spéciale de formations, que recourir à des témoignages individuels qui entraîneraient une perte de temps considérable, sans compter les chances d'erreurs, qui seront très nombreuses.

A la suite de la discussion, un crédit de 100 francs a été voté pour m'inviter à étudier un projet de loi. Cette étude, je suis tout disposé à la faire, mais le crédit m'est absolument inutile. Je la ferai sans crédit, parce que c'est une étude d'ordre courant. Le Sénat peut donc, je crois, comptant sur la promesse que je fais en ce moment, supprimer le crédit de 100 fr. de la Chambre ; cela ne changera absolument rien à la question. ( Très bien ! très bien ! )

M. Aimond. — Nous n'avons qu'à prendre acte de cette déclaration.

M. Gervais. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est a M. Gervais.

M. Gervais. — Monsieur le président, je retire l'amendement. Son objet était de provoquer les déclarations que M. le ministre de la guerre vient de faire. Dans ces conditions, nous n'avons qu'à prendre acte de ses déclarations, et à lui faire confiance pour le dépôt d'un projet de loi. ( Très bien ! )

M. le comte de Goulaine. — Devant les déclarations si formelles de M. le ministre de la Guerre, je me rallie à l'avis de la commission de l'armée.

M. Dominique Delahaye. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. Delahaye.

M. Dominique Delahaye. — Messieurs, je ne vois pas ce que le conseil de résolution de la commission de l'armée pourra nous apporter désormais de plus que la déclarations de M. le ministre de la guerre. Ni le crédit de 100 francs, ni le projet de résolution n'ont rien à voir désormais dans le débat. Il s'agit purement et simplement en ce moment de savoir si vous voulez poser un principe et établir une prescription impérative. Je vous les apporte par mon amendement. Je ne pense pas qu'il convienne de ressusciter cette question à la loi de finances, puisqu'on dit qu'il faut battre le fer pendant qu'il est chaud. Vous êtes de fer, vous êtes chauds et c'est maintenant que je demande à vous battre. ( Sourires. )

M. le président. — Monsieur Delahaye, je ne peux pas mettre votre amendement aux voix à l'occasion du chapitre 3.

M. Dominique Delahaye. — Eh bien, si M. le président ne peut pas mettre mon amendement aux voix, je reviendrai au moment de la loi de finances ; mais vous ne me le reprocherez pas.

M. le président. — Ce sera votre droit.

M. le général Mercier. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. le général Mercier.

M. le général Mercier. — Messieurs, je demande à M. le ministre s'il espère qu'il lui sera possible, dans l'étude qu'il vient de nous promettre de comprendre nos anciens compatriotes, séparés de nous et qui ont servi la France pendant la guerre de 1870.

M. le ministre. — C'est une question extrêmement délicate, et d'ordre international qu'il ne m'est pas possible de résoudre seul et à laquelle je demande la permission de ne pas répondre au pied levé. ( Très bien ! à gauche. )

M. le général Mercier. — Je veux espérer que vous ferez tous vos efforts, monsieur le ministre, pour que l'étude à laquelle vous promettez de vous livrer aboutisse à un résultat favorable.

M. Boudenoot. — Prenant acte des déclarations de M. le ministre de la guerre, qui promet d'étudier la question, et d'examiner s'il peut déposer un projet de loi réglant les conditions dans lesquelles la médaille sera accordée, nous n'insistons pas pour le vote du crédit de 100 fr.

M. le président. — Dans votre pensée en votant le chapitre 3, avec le chiffre proposé par la commission, le Sénat prend acte des déclarations du Gouvernement ? ( Approbation sur un grand nombre de bancs. )

Je mets aux voix le chapitre 3 avec le chiffre de 304.820 fr., proposé par la commission. Ce chiffre est inférieur de 600 fr. à celui que la Chambre des députés a voté. Je mets aux voix le chiffre le plus élevé, c'est-à-dire celui de 305.420 fr. proposé par la Chambre des députés. ( Ce chiffre n'est pas adopté ).

M. le président. — Je mets aux voix le chiffre de 304.820 fr. proposé par la commission des finances.

( Le chapitre 3, avec ce chiffre, est adopté. )

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 8 du 20 avril 1910, pages 13 et 14.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

Par la publication que nous avons donnée des comptes-rendus des séances de la Chambre des Députés et du Sénat ( voir les numéros du Vétéran du 20 février et du 5 avril 1910 ), nous avons fait connaître à nos Camarades les phases diverses qu'a traversées la question de la Médaille Commémorative au point de vue parlementaire.

En relisant attentivement le compte rendu de la séance du Sénat du 1er avril et notamment les paroles prononcées par M. Maurice Rouvier, Président de la Commission des Finances, et la réponse de M. le Général Brun, Ministre de la Guerre, « qui s'engageait à étudier la question », nous avons pensé qu'il y avait lieu de faire préciser davantage le sens de ces déclarations. Elles pouvaient, en effet, laisser des doutes dans l'esprit de beaucoup de nos Camarades. Cette incertitude nous a mis dans l'obligation d'entreprendre une nouvelle campagne avec le Petit Journal qui, dans son numéro du 6 avril courant, a fait paraître, sous la signature de M. René Lebaut, l'article que nous reproduisons ci-dessous :

PAS D'ÉQUIVOQUE !

Le Petit Journal a annoncé, samedi dernier que le Sénat s'était montré favorable au vœu la Chambre, invitant par un relèvement de crédit le ministre de la Guerre à déposer un projet de loi concernant la création d'une médaille commémorative de la guerre franco-allemande.

La discussion, qui fut assez longue au Luxembourg, démontra, en effet, que le rapporteur général du budget n'était point hostile au projet, que la commission de l'armée y était favorable et que nombre de sénateurs, adversaires de jadis se rangeaient du côté des partisans.

Le ministre de la Guerre ayant déclaré qu'il était tout disposé à déposer un projet de loi, la Haute Assemblée, qui ne se départit jamais de la courtoisie la plus grande, et se pensant en conformité de vues avec la Chambre, fit confiance au ministre de la Guerre. M. Boudenoot, au nom de la commission de l'armée, retira le projet de résolution présenté par elle, et M. Gervais retira son amendement.

Or, à la lecture du Journal Officiel, il apparaît nettement qu'on s'est trompé sur la portée effective des déclarations du ministre de la Guerre. Loin de moi la pensée de porter atteinte à la loyauté du général Brun, mais les paroles qui ont été imprimées sont insuffisantes à nous satisfaire. M. le général Brun peut cesser pour une raison ou pour une autre de faire partie du cabinet, et le Sénat n'ayant pas confirmé par un vote précis le vote précis de la Chambre, la volonté exprimée par l'une des assemblées et consentie par l'autre peut demeurer lettre morte.

Il y adonc, quant à présent, une équivoque possible. Il n'en faut pas ! Il faut que la question soit tranchée d'une façon précise avant la fin de la législature. C'est ce qu'a pensé M. Georges Berry et ce que penseront sans doute les 453 députés qu'il a groupés autour de son amendement. Aussi, le député de Paris se propose-t-il, lorsque le budget de la guerre reviendra à la Chambre, retour du Sénat, de demander le rétablissement de son amendement, avec toute la signification qu'il comporte, c'est-à-dire : le dépôt d'un projet de loi et non pas l'étude d'un projet, étude qui pourrait n'être jamais soumise à son contrôle et à son appréciation ; surtout si l'on songe que les bureaux de la guerre ne veulent à aucun prix entendre parler de la question.

Car, malheureusement ! tout est là : la création de la médaille donnera un travail supplémentaire aux bureaux de la rue Saint-Dominique. Comme ils sont là pour travailler, ils travailleront. Voilà tout ! Et qu'on n'objecte pas cette mauvaise raison qu'il sera impossible de discerner les ayants droit. Dans l'armée régulière, les Livrets militaires les feront connaître. En ce qui concerne les mobiles, les volontaires, les francs-tireurs, les sociétés militaires et patriotiques pourront apporter un concours précieux. Il appartiendra, d'ailleurs, aux intéressés de faire valoir leurs titres en les appuyant des témoignages prescrits par le ministre de la Guerre. Ça n'a rien d'impossible. D'ailleurs, il ne convient, pas plus sur cette question que sur la question de principe, de laisser place à l'équivoque.

En nous faisant les protagonistes de la médaille de 1870-1871, nous avons voulu maintenir haut et ferme le prestige de la France et non pas le rabaisser ; nous avons voulu donner un exemple, et non pas prêter au ridicule. Nous n'avons jamais pensé qu'on pût la juger autrement que comme la médaille du souvenir et de la défense nationale.

« On ne commémore pas la défaite » s'écrie un adversaire irréductible de la médaille, M. le vicomte de Montfort. Cependant, si je ne me trompe, l'honorable sénateur a fait la campagne du Mexique dont il porte la médaille ainsi, je crois, que la croix de Guadelupe, décernée par Maximilien. Or, il n'y eut pas précisément que des victoires au Mexique, et cette campagne ne fut brillante pour nos armes qu'en raison des souffrances endurées par nos troupes.

A côté des « bravaches » dont parle M. de Montfort ; à côté de ceux qui, selon le sénateur de la Seine-Inférieure, firent l'exercice sur la place de leur village à 300 lieues de l'ennemi ( pas dans des villages français, en tout cas, la France n'ayant pas tout à fait 1.200 kil. dans sa plus grande dimension ) : à côté de ces gens il y a ceux qui offrirent leur poitrine à l'ennemi et firent leur devoir, tout leur devoir ; ceux dont a parlé M. Gaudin de Villaine « qui rentrés à l'usine ou au village n'ont rien obtenu, et qui pourtant, dans leur humilité sublime furent des héros ; alors que nombre d'officiers eurent la faveur d'une décoration pour leurs services à la guerre ».

C'est pour ceux-là que nous avons fait entendre notre voix. C'est pour eux que nous avons rompu des lances et que nous sommes prêts s'il le faut à en rompre de nouvelles, parce qu'en les honorant la France s'honorera. Parce que cette année même, l'Allemagne s'apprête à célébrer en grande pompe le quarantenaire de ses victoires passées. Parce que le bruit de ces manifestations emplira le monde et qu'en gardant devant elles un front courbé par le malheur, nos fils eux-mêmes pourraient penser que nous le courbons sous la honte !

Or, si la campagne de 1870-1871 fut malheureuse pour nos armes, elle fut souvent glorieuse et toujours héroïque. C'est un honneur d'y avoir pris part. Il faut marquer d'un signe ceux qui eurent cet honneur ! Encore une fois, notre désir, qui est celui de l'opinion publique, se résume dans la phrase de M. René Bazin qui fut aussi brillant officier qu'il est brillant académicien : « Ni oubli. ni passe-droit ! »

L'article qui précède a été envoyé le même jour à tous les Députés et Sénateurs qui ont pris part à la discussion de la question de la Médaille, ce qui à amené à la deuxième séance du 7 avril de la Chambre des Députés une nouvelle intervention de M. Georges Berry et de plusieurs de ses collègues. Pour tenir nos Camarades bien au courant de la situation réelle de la question, nous reproduisons ci-dessous le compte-rendu in extenso de cette partie de la séance de la Chambre des Députés :

Ministère de la guerre

1re section. — Troupes métropolitaines

3e partie. — Services généraux des ministères. Intérieur

M. le président. — « Chap. 3. — Matériel de l'administration centrale. »

Chiffre voté par la Chambre, 305.429 fr.

Chiffre voté par le Sénat, 304.820 fr.

Soit une réduction de 600 fr.

La commission n'accepte pas la modification apportée par le Sénat et demande le rétablissement du crédit primitif.

M. Georges Berry a demandé par amendement le rétablissement d'un crédit de 100 francs voté par la Chambre pour la médaille des combattants de 1870.

M. le rapporteur général. — Il est rétabli.

M. Georges Berry. — Je vous demande pardon. Il n'est pas rétabli avec l'indication que nous lui avons donnée. Je demande la parole.

M. le rapporteur général. — Voulez-vous me permettre de vous donner une explication ? Il y avait en effet sur ce chapitre deux réductions opérées par le Sénat. La première portait sur les crédits de chauffage du ministère de la guerre. On nous a montré que ces crédits étaient justifiés, nous l'avons constaté par l'état des dépenses faites. Il y avait ensuite le crédit de 100 fr., dont M. Berry avait pris l'initiative. Nous avons rétabli les 500 fr. du matériel et les 100 fr. de M. Berry. Mon rapport contient à cet égard des explications que je crois suffisantes. Je dis en effet : « Quant au crédit de 100 fr. relatif à la médaille de 1870, il n'a eu d'autre signification que de souligner la déclamation du ministre à la Chambre en faveur d'une étude de la question. Ses déclarations n'ont pas été différentes au Sénat : la réduction de 100 fr. est donc sans aucun intérêt. »

M. Georges Berry. — Nous ne sommes nullement d'accord. Je demande la parole.

M. le rapporteur général. — Vous n'avez pas le droit de demander autre chose que ce qui a été voté une première fois. Vous avez satisfaction, et vous ne voulez pas le reconnaître.

M. Georges Berry. — Non, je n'ai pas satisfaction, monsieur le rapporteur général.

M. le rapporteur général. — Il n'y a pas deux façons d'avoir satisfaction en matière budgétaire : il n'y en a qu'une, c'est d'obtenir le crédit que l'on a demandé ; et il n'y a qu'une manière de ne pas obtenir satisfaction, c'est de ne pas obtenir le crédit que l'on a demandé. Les commentaires et rien — vous me permettrez de vous le dire — c'est à peu près la même chose.

M. Guillaume Chastenet. — Très bien !

M. Georges Berry. — Je ne suis pas de votre avis.

M. le rapporteur général. — Ce qui est important, c'est le crédit : nous le votons ; nous l'avons maintenu précisément pour éviter une discussion.

M. Georges Berry. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. Berry.

M. Georges Berry. — Evidemment, nous jouons sur une équivoque, et cette équivoque existe depuis le 4 février dernier. En effet, j'avais demandé à la Chambre, au nom de deux cents de nos collègues, de vouloir bien voter une augmentation de crédit de 100 fr. au chapitre 3 du budget de la Guerre avec cette indication que le vote de cette augmentation impliquerait une invitation à M. le Ministre à déposer un projet portant création d'une médaille pour les combattants de 1870-1871.

M. Dubois. — Etiez-vous à l'armée en 1870 ?

M. Georges Berry. — Je n'ai pas à vous rendre compte de ma conduite. J'étais au collège en 1870, je ne pouvais donc pas être à l'armée.

M. Dubois. — J'y étais, moi, et je ne réclame pas de médaille.

M. Georges Berry. — Je mets sous les yeux de la Chambre, pour dissiper l'équivoque, les déclarations que je faisais le jour où fut voté, par 455 voix contre 28, l'amendement que j'avais déposé. Je les terminais ainsi : « Il ne faut pas d'équivoque. Il est bien entendu que la Chambre par son vote, va s'engager d'une façon absolue. C'est une invitation ferme donnée à M. le ministre de la guerre d'avoir à nous apporter un projet de loi qui récompense tous les combattants de 1870... »

M. Jourde. — Je demande la parole.

M. Emile Cère. — Nous avons satisfaction et vous provoquez une nouvelle discussion.

M. Georges Berry. — Si vous avez satisfaction, je ne l'ai pas. Je continue ma citation :

Sur divers bancs à gauche : Non à étudier la question.

M. Georges Berry. — Non, à la résoudre dans le sens de notre amendement.

L'amendement fut repris au Sénat par M. Gervais et un grand nombre de sénateurs. M. le ministre de la guerre déclara qu'il n'y avait pas lieu de maintenir l'augmentation de 100 fr., parce qu'il était tout disposé à étudier s'il y avait lieu de déposer un projet de loi. Or, la Chambre avait voté non pas une vague étude, mais une invitation à déposer un projet de loi. ( Très bien ! très bien ! sur divers bancs. )

M. Maurice Barrés. — C'est très exact.

M. Georges Berry. — Dans ces conditions, nous ne pouvons pas accepter l'interprétation donnée par la commission du budget. Vous me dites, monsieur le rapporteur général, que je n'ai pas le droit de reprendre l'amendement. Si je n'en ai pas le droit, je suis forclos, mais je déclare que la Chambre a voté l'amendement avec invitation nettement donnée au ministre de la guerre, non pas d'étudier la question, mais de mettre à l'étude et de déposer un projet de loi. C'est dans ce sens que 455 de nos collègues se sont prononcés, ici, il y a un mois. Et c'est pourquoi je demande formellement que ce projet soit déposé dès le prochain budget.

M. le président. — La parole est à M. le rapporteur général.

M. le rapporteur général. — Pour déposer un projet de loi monsieur Berry, il faut tout de même bien l'étudier. Permettez-moi de vous dire qu'une augmentation de 100 fr., à laquelle vous avez attaché une signification précise...

M. Georges Berry. — Oui.

M. le rapporteur général. — ... mais qu'un certain nombre de nos collègues ont votée dans un autre esprit — vous savez la réserve que j'ai faite moi-même, et bien d'autres avec moi, tout en l'acceptant — vaut simplement comme une manifestation de la Chambre. Une partie de cette Chambre s'est associée à toutes les idées que vous avez exprimées à cette tribune, mais l'autre partie ne s'y est pas associée. En tout cas, le ministre, — et c'est en cela que vous soulignez la promesse qu'il a faite — s'est engagé ici à préparer un projet de loi. Il l'a promis à nouveau au Sénat. Il ne semble pas qu'il doive y avoir lieu a discussion nouvelle, car le crédit de 100 fr. est indifférent, n'est-ce pas ? La question n'est pas de savoir si le chiffre du chapitre sera de 305.420 fr. ou de 305.520 fr.

M. Georges Berry. — Non, la question n'est pas là.

M. le rapporteur général. — Peu importe donc ce chiffre ! Vous avez la promesse qu'on va étudier un projet de loi. Restons-en donc là !

M. Georges Berry. — Il est bien entendu que ce n'est pas la question, mais un projet de loi que le ministre va étudier. ( Oui ! oui ! sur divers bancs. )

M. le président. — La parole est à M. Jourde.

M. Jourde. — Il ne faut pas qu'il y ait d'erreur. Je conviens que M. Berry a eu quelque raison de vouloir faire préciser, mais je trouve que l'appétit de notre honorable collègue va en augmentant. En effet, ainsi que vient de le rappeler M. le rapporteur général de la commission du budget, qui a voté avec lui...

M. Georges Berry. — Excepté vous !

M. Jourde. — Oh ! je ne voterai jamais cette proposition, monsieur Berry...

M. Lenoir. — Ni moi non plus ! Et M. Jourde a fait la campagne de 1870, lui !

M. Jourde. — ... et il y a beaucoup de Français qui pensent comme moi à ce sujet-là même à l'époque où nous sommes. Mais rappelez-vous les déclarations par lesquelles M. Doumer terminait la réponse qu'il vous faisait. Il vous disait : « Si votre augmentation de 100 fr.... » — ce ne sont pas ses propres paroles, je ne les ai pas sous les yeux, je les cite de mémoire — « ... si votre augmentation de 100 fr. signifie qu'il peut y avoir, parmi les combattants de 1870, des hommes qui ont mérité d'être récompensés et qui ne l'ont pas été, si cette augmentation signifie qu'il y a une étude à faire sur cette question, nous sommes d'accord et je voterai avec vous ; mais si elle signifiait que vous voulez porter à la boutonnière l'insigne de la défaite, personne ici ne serait disposé à vous suivre. » C'est, je crois, le sens des déclarations de M. Doumer ; c'est aussi le sens qui a été attaché à votre proposition, monsieur Berry. M. le ministre de la guerre a promis quoi ? Il a promis d'étudier la question.

M. Georges Berry. — C'est une erreur.

M. Jourde. — Et vous, par votre amendement vous ne demandiez pas autre chose que l'étude de cette question. M. le ministre de la guerre, après vous avoir répondu sur le principe même que vous posiez, vous a fait apercevoir les difficultés insurmontables au point de vue pratique que présenterait la recherche des ayants droit ; car, pour un certain nombre de corps combattants, il n'existe aucune archive au ministère de la guerre. Aujourd'hui, vous avez satisfaction : on vous promet d'étudier la question. En demandant davantage, vous vous montrez bien exigeant. ( Interruptions. ) Vous devez comprendre et excuser la passion que j'apporte dans ce débat qui me touche profondément, car je me sentirais très humilié si j'avais une décoration pareille à ma boutonnière.

M. Georges Berry. — Mais vous en avez une autre.

M. Jourde. — Je disais qu'on vous a donné satisfaction en vous promettant d'étudier la question. On maintient au budget le crédit que vous avez voté. Que vous faut-il de plus ? Il importe à la dignité de la Chambre de ne pas se livrer en la circonstance à une manifestation électorale. ( Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche. )

M. le président. — La parole est à M. Berry.

M. Georges Berry. — Je ne peux pas laisser dire que ce que nous réclamons est l'insigne de la défaite. M. Jourde n'a pas le droit de tenir ce langage, lui qui porte sur la poitrine la Médaille militaire. Elle lui a été donnée à l'occasion de la campagne de 1870, et, dans ces conditions, elle pourrait aussi être qualifiée de l'insigne de la défaite.

M. Lenoir. — M. Jourde est tombé sur le champ de bataille, la poitrine trouée par une balle allemande : et il a reçu la Médaille militaire. ( Très bien ! très bien ! )

M. Georges Berry. — Il y aura, cette année en Allemagne des fêtes qui célébreront le quarantenaire des victoires allemandes. Aux manifestations bruyantes auxquelles vont se livrer nos voisins, ne devons-nous pas répondre par une manifestation pacifique, consistant à placer sur la poitrine des braves qui se sont battus en 1870 l'insigne de l'honneur, que je réclame pour eux depuis tant d'années ? ( Très bien ! très bien ! à droite. ).

Cela dit, je me rallie aux dernières paroles de M. le rapporteur disant que le ministre accepte de mettre à l'étude non pas la question, mais un projet destiné à donner satisfaction aux combattants de 1870-1871. ( Applaudissements à droite. )

M. le président. — Personne ne demandé plus la parole sur le chapitre 3 ?... Je le mets aux voix, au chiffre de 305.420 fr.

( Le chapitre 3, mis aux voix, est adopté. )

Comme on le voit, la Chambre des Députés, par son vote, a rétabli le crédit de 305.420 francs qu'elle avait adopté dans la séance du 11 février 1910 et dans lequel est implicitement compris le crédit spécial de cent francs à titre d'indication pour inviter le Ministre à présenter un projet de loi pour la création de la Médaille Commémorative.

Le Sénat, dans sa séance du 7 avril, a accepté sans nouvelle discussion le chiffre de 305.420 francs rétabli par la Chambre des Députés, donnant ainsi son assentiment aux déclarations de M. le Rapporteur-Général du Budget, disant que le Ministre de la Guerre s'est engagé à mettre à l'étude un projet de loi destiné à donner satisfaction aux combattants de 1870-1871.

Nous espérons bien que le dépôt de ce projet de loi ne se fera pas trop attendre et que la nouvelle Chambre ne montrera pas moins d'empressement à le voter que l'ancienne en a mis à reconnaître la légitimité des revendications des anciens combattants de la guerre franco-allemande.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 14 du 20 juillet 1910, page 1.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

Le samedi 9 juillet, M. le Général Brun, Ministre de la Guerre, a reçu en audience particulière M. le Président Général de la Société. M. J. Sansbœuf a entretenu le Ministre de diverses questions intéressant un certain nombre de nos camarades. Il a profité de sa visite pour rappeler à M. le Général Brun que les anciens combattants de 1870-1871, comptaient toujours sur la promesse faite par lui, à la suite des votes favorables émis par le Sénat et la Chambre des Députés, au sujet de la création de la médaille commémorative. Le Ministre a donné l'assurance à M. le Président Général que la question avait été mise sérieusement à l'étude.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 24 du 15 décembre 1910, page 1.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

Le mercredi, 6 décembre, une Délégation du bureau du Conseil Général de la Société composée de MM, J. Sansbœuf, Président Général ; le commandant Galland, Vice-Président Général et J. Hussenot-Desenonges, Secrétaire Général, s'est rendue au Palais-Bourbon où elle a conféré avec M. Georges Berry au sujet de la marche à suivre pour obtenir une solution à la création de la Médaille commémorative de 1870-1871.

Il a été entendu avec M. Georges Berry, qu'il demandera à la Chambre de se prononcer de nouveau, au moment de la discussion du budget de la guerre, sur la question de la médaille.

Le député de Paris a fait part aux délégués du Conseil Général du sentiment qui se manifestait à cet égard parmi ses nouveaux collègues, dont il a recueilli l'adhésion.

Il leur a annoncé que le ministre de la Guerre préparait le projet de loi qui l'instituerait et que ce projet devait être déposé après le vote du budget de 1911.

Cette déclaration confirme d'ailleurs la réponse qu'a faite M. le général Brun à M. Ernest Flandin, député du Calvados, qui lui avait adressé la lettre suivante :

Paris, le 15 novembre 1910.

Monsieur le Ministre,

Au cours de la séance du 11 février 1910, la Chambre a voté, par 549 voix contre 34, un amendement de M. Georges Berry, signé par un grand nombre de mes collègues et par moi-même, vous invitant à présenter au Parlement un projet de loi pour la création d'une médaille à décerner aux survivants des combattants de la guerre de 1870-1871. Ce vote a fait naître chez tous les anciens soldats qui participèrent à la défense de la Patrie, la légitime espérance de recevoir le souvenir qui attestera leur belle conduite et qui en transmettra le témoignage à leurs enfants.

Assuré du désir que vous avez de donner satisfaction au vœu exprimé par la presque unanimité de la Chambre, j'ai l'honneur de vous demander si vous compter lui soumettre, à bref délai, le projet de loi attendu. J'ajoute que le temps diminue chaque jour le nombre de ces braves gens qui firent leur devoir en 1870, et qu'un long retard priverait beaucoup d'entre eux de la satisfaction qui leur a été promise et qu'ils ont si bien méritée.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma haute considération. E. FLANDIN.

Le général Brun a répondu à cette lettre par la note qu'on va lire, insérée au Journal Officiel n° 319 du 28 novembre dernier, page 2962, colonne 3.

Le ministre de la Guerre se propose de soumettre aux Chambres, après le vote du budget, un projet de loi créant une médaille commémorative pour les combattants de 1879-1871. Dans une entrevue qu'a eue M. J. Sansbœuf avec M. Flandin, ce dernier lui a confirmé la déclaration écrite de M. le général Brun et il s'est engagé à intervenir également dans la question au moment où la Chambre en sera saisie.

Par ce qui précède, nos camarades peuvent se rendre compte que, conformément à la déclaration de M. J. Sansbœuf au dernier Congrès, le Conseil Général de la Société ne se désintéresse pas de la légitime revendication des combattants de la guerre franco-allemande, et qu'il est résolu à en poursuivre la réalisation avec persévérance et énergie.

Si, contrairement à ses prévisions, un succès prochain ne venait pas couronner ses efforts, le Conseil Général est décidé à faire un nouvel appel à toutes les Sections de Vétérans ainsi qu'à toutes les Associations militaires et patriotiques que la question de la médaille commémorative de 1870-1871 peut intéresser.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 1 du 5 janvier 1911, page 1.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

Nous reproduisons avec plaisir l'article concernant la Médaille commémorative de 1870-1871 qui a paru en première page de l'Echo de Paris du 24 décembre dernier :

Depuis plusieurs années, nombre d'hommes politiques demandent qu'une médaille commémorative soit distribuée, en vertu d'une loi, aux anciens combattants de 1870-1871. Jusqu'à présent, cette proposition a eu peu de succès auprès des pouvoirs publics, mais je suis fondé à croire que très prochainement, elle aboutira.

Les adversaires de la médaille font valoir qu'il n'est pas digne d'un grand peuple comme le nôtre de glorifier, par une décoration, une guerre désastreuse, ayant amenée la perte de l'Alsace et de la plus grande partie de la Lorraine.

Les anciens combattants de 1870-71, qui, tous, désirent la médaille, sachant l'avoir bien gagnée, ont pour organe officiel la Société nationale française des Vétérans des Armées de Terre et de Mer, et c'est surtout grâce à elle qu'ils verront se réaliser leur vœu le plus cher. Cette Société, en effet, n'a jamais cessé de faire d'actives démarches en vue d'obtenir la création de la médaille en faveur de ses membres — aujourd'hui des vieillards — qui ont fait leur devoir, tout leur devoir, même sans l'espoir de vaincre, sur les nombreux champs de bataille de l'Année Terrible.

Au point du vue du courage, de l'abnégation et du patriotisme, on ne saurait faire de différence entre les vainqueurs et les vaincus de cette guerre, car le victoires allemandes de 1870-71 ont couronné seulement le nombre, l'organisation, le haut commandement, en laissant aux soldats français la notion de leur supériorité sur les soldats allemands.

Le moment de la réparation nécessaire approche, et, déjà, le 11 février dernier, la Chambre a voté, par 549 voix contre 34, un amendement de M. Georges Berry, qui invite le ministre de la Guerre à présenter un projet de loi instituant la médaille commémorative de la guerre de 1870-71. Ledit amendement vient d'être rappelé, ... dernier, au Général Brun, par le Député E. Flandin, dans une lettre dont la réponse figure au Journal officiel du 23 novembre 1910, sous la forme d'une note ainsi rédigée : « Le ministre de la Guerre se propose de soumettre aux Chambres, après le vote du budget, un projet de loi créant une médaille commémorative pour les combattants de 1870-71. »

D'après cela, on peut présumer, à coup sûr, un vote favorable dans les deux Chambres et la création, à bref délai, de la médaille de 1870-71. La question résolue dans le sens affirmatif aura un grand retentissement et recevra un accueil enthousiaste en pays annexés, où les combattants de la dernière guerre demeurent les représentants par excellence de l'idée française. Ne serait-ce que pour eux, qu'il faudrait ... la médaille rappelant les combats et les batailles qu'ils ont soutenus pour conserver la nationalité française à leur ... patrie.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 2 du 20 janvier 1911, page 1.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

Nous avons annoncé que M. le Général Brun, ministre de la Guerre, allait présenter au Parlement, après la discussion du budget de la Guerre, un projet de loi relatif à la création d'une médaille commémorative à décerner aux survivants de la guerre Franco-Allemande.

Afin de pouvoir donner aux Chambres un aperçu des conséquences budgétaires de ce projet, une circulaire a été adressée ces jours derniers aux Préfets pour inviter les Maires des communes à faire connaître, avant le 1er février, le nombre des Vétérans, actuellement vivants, qui pourraient prétendre à cette distinction.

Nous croyons savoir que d'après le projet du Ministre, tous les anciens combattants de 1870-1871 auraient droit à la médaille, mais celle-ci ne serait délivrée gratuitement qu'à ceux qui. se seraient distingués sur le champ de bataille par des actions d'éclat dûment justifiées par des pièces authentiques, ou qui auraient été blessés (cinq premières classes de l'échelle de gravité), ou enfin, qui auraient été réformés ou retraités pour blessures.

Les Vétérans non compris dans les catégories qui précèdent ne recevraient gratuitement que le diplôme et ils auraient à se procurer la médaille à leurs frais, dans le commerce, s'ils le jugeaient à propos.

D'après ce qui précède, le projet de création de la Médaille commémorative de 1870-1871 est en bonne voie. Nous ne doutons pas que le Parlement ne l'aie définitivement adopté avant les vacances de Pâques. Les combattants de la Guerre Franco-Allemande lui seront reconnaissants ainsi qu'au Ministre de cette solution, mais ils comprendraient difficilement l'établissement de deux catégories de Vétérans recevant, les uns une médaille et un diplôme, les autres un diplôme seulement. On nous avait cependant bien affirmé, l'an dernier, dans nos démarches à la Chambre, que la question budgétaire ne pèserait pas sur l'opinion des représentants de la France dans le vote que la pétition des Vétérans allait provoquer.

La remise gratuite de cette médaille à tous les combattants de la guerre Franco-Allemande s'impose. Ce serait après tout un mince sacrifice pour le pays à l'égard de ceux qui l'ont si vaillamment défendu, il y a quarante ans.

Il ne faut pas oublier, d'autre part, que ceux qui se sont distingué sur le champ de bataille par des actions d'éclat ou qui ont été blessés, ont déjà reçu, pour la plupart, la récompense à laquelle ils avaient droit ( Légion d'Honneur ou Médaille militaire ).

Quelle que soit la solution à laquelle s'arrêtera le Parlement, l'essentiel pour nous, c'est que la Médaille réclamée avec tant d'insistance, soit enfin votée, car le temps presse et la mort fait son œuvre parmi les survivants de l'Année Terrible, dont les rangs vont s'éclaircissant de plus en plus.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 3 du 5 février 1911, page 1.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

Dans notre précédent numéro, nous avons parlé de la circulaire relative au dénombrement des survivants de la guerre franco-allemande que M. le ministre de la Guerre a fait parvenir à MM. les Préfets.

Nous croyons être agréable à nos camarades en publiant, à titre documentaire, la note qu'en exécution des instructions de la circulaire ministérielle, le Préfet de.... a fait parvenir aux maires de son département :

Création d'une médaille commémorative décernée aux survivants de la guerre franco-allemande.

Le Préfet de... à Monsieur le maire de...

« M. le ministre de la Guerre a l'intention de présenter un projet de loi relatif à la création d'une médaille commémorative à décerner aux survivants de la guerre franco-allemande.

« D'après ce projet, tous les anciens combattants de 1870-71 auraient droit à la médaille : mais l'insigne ne serait délivré gratuitement qu'à ceux qui se sont distingués sur le champ de bataille par des actions d'éclat dûment  justifiées par des pièces authentiques ou qui ont été blessés ( 5 premières classes de l'échelle de gravité ) ou, enfin, qui ont été réformés ou retraités pour blessures.

« Les Vétérans non compris dans ces catégories ne recevraient gratuitement que le diplôme et ils auraient à se procurer à leurs frais, dans le commerce, la médaille s'ils le jugeaient à propos.

« Afin de pouvoir présenter aux Chambres un aperçu des conséquences budgétaires de la mesure envisagée, M. le ministre de la Guerre aurait besoin de savoir à combien s'élève le nombre de vétérans actuellement vivants que pourrait comporter chacune des deux catégories sus-indiquées.

« Dans ces conditions, je vous serais bien obligé de vouloir bien m'adresser, d'extrême urgence, la liste des militaires domiciliés dans votre commune, ayant pris part à la guerre de 1870-1871, soit comme soldats de l'armée active, soit comme gardes nationaux mobiles ou mobilisés, ou ayant appartenu aux corps francs, susceptibles de recevoir cette médaille commémorative. Vous voudrez bien préciser, pour chaque homme, à quel corps il a appartenu et quelle est sa commune d'origine. »

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 4 du 20 février 1911, page 1.

 

La Médaille Commémorative de 1870-1871

Dans Le Vétéran, n° 24, du 15 décembre 1910, nous avons publié la réponse faite par M. le Général Brun, ministre de la Guerre, à M. Flandin, député du Calvados, qui lui avait demandé par lettre du 15 novembre 1910 à quelle date il comptait soumettre au Parlement le projet de loi portant création d'une médaille à décerner aux survivants des combattants de la campagne franco-allemande.

A la suite d'une demande d'interpellation qui vient de lui être faite par un Député de la Seine, au sujet de la même question, M. le Général Brun a répondu par la lettre suivante :

Monsieur le député, vous m'avez avisé de votre intention de me poser une question, à la séance de vendredi prochain, au sujet de la création d'une médaille pour les anciens combattants de 1870. J'ai l'honneur de vous faire connaître que, dans une réponse « insérée au « Journal officiel » du 23 novembre 1910 », j'ai indiqué que je me propose « de soumettre aux Chambres, après le vote du budget, un projet de loi créant une médaille commémorative pour les combattants de 1870-71 ».

Je ne pourrais que confirmer, le cas échéant, la réponse ci-dessus énoncée et, dans ces conditions, vous estimerez sans doute que cette déclaration rend inutile la question que vous poseriez à ce sujet. Agréez, monsieur le député, etc...

Comme on le voit, c'est la confirmation pure et simple des notes que nous avons déjà publiées dans ce journal.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 7 du 5 avril 1911, page 10.

 

De la médaille Commémorative de 1870-1871

Si la Médaille Commémorative de 1870-1871 ne brille pas encore sur la poitrine des citoyens qui ont fait leur devoir pendant l'année terrible, la question doit être considérée aujourd'hui comme définitivement résolue, M. le Ministre de la Guerre ayant renouvelé à la tribune du Parlement ( Chambre des Députés, séance du 21 mars 1911 ), l'intention formelle du Gouvernement, — déjà exprimée d'ailleurs par son prédécesseur, — de déposer à bref délai un projet de loi pour la création de cette médaille. Nos efforts communs vont enfin être couronnés de succès, et les Sociétaires seront heureux de voir cette médaille briller sur la poitrine de leurs aînés.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 10 du 20 mai 1911, page 16.

 

La médaille Commémorative de 1870-1871

A propos de cette question si intéressante, nous recevons d'un Alsacien, vétéran de 1870, la lettre suivante avec prière de la publier :

Rixheim, près Mulhouse ( Alsace ).
Le 16 mai 1911

Monsieur le Président général.
Je viens de lire, dans un journal français alsacien, le rapport ( reproduit du « Vétéran » ) que fit M. Sansbœuf, président général de la « Société des Vétérans des Armées de Terre et de Mer » de l'audience qui lui fut accordée dernièrement par M. le Ministre de la Guerre, relativement à la Médaille de 1870-71. Afin de faire connaître toute l'importance de cette Médaille, je vais faire voir ci-après ce qu'elle est réellement ; ce qu'ignore, malheureusement, à peu près tout le monde, même mes anciens frères d'armes de 1870.

Donc, lors des débats à la Chambre, l'année dernière, une partie des adversaires prétendaient que, accorder cette médaille aux survivants de l'Année Terrible, ce serait commémorer la défaite. Les autres disaient que, enrubanner les vaincus de 1870, ce serait non seulement glorifier la défaite, mais sanctionner en même temps aussi la mutilation de la Patrie, la perte de l'Alsace-Lorraine.

L'émission de pareilles opinions démontra clairement, combien est peu connue jusqu'à ce jour encore, en France également, la cause principale, la cause vraie, unique de l'anéantissement progressif, rapide, journalier des armées françaises de 1870. C'était là un phénomène inconnu jusqu'alors. Autrefois déjà la France avait subi de graves échecs sur les champs de bataille, oui, mais l'histoire nous apprend que jamais ce ne fut par la mollesse des soldats et des matelots français. En effet, voyez par exemple Rossbach (1757) et Aboukir (1798), pour ne rappeler que ces deux. A tous ces endroits-là, partout et toujours, l'ennemi n'avait battu que les généraux et les amiraux français, ineptes autant que criminellement insouciants. Les soldats, eux, furent anéantis, pour la plus grande partie, par les chaleurs tropicales en Espagne, de 1808 à 1814 ; par le froid sibérien en Russie en 1812 et écrasé par le nombre à Leipzig en 1813 et à Waterloo en 1815.

Et que vit-on en 1870 ? La bravoure, celle-ci les généraux français également l'avaient conservée toujours, comme on a vu ; mais leur ineptie et leur incurie étaient au moins égales à celles dont fit preuve Soubise à Rossbach. A Wissembourg, elles étaient même supérieures, et de beaucoup. Et que firent les soldats, eux ? Là, spectacle atroce : On les vit, ceux qui avaient pris d'assaut, à la baïonnette, le formidable Malakoff en 1855 ; ceux qui, à la baïonnette encore, avaient été vainqueurs en Italie en 1859, sans parler de l'expédition subséquente au Mexique, de 1862 à 1867 ; tous, jeunes et vieux, on les vit rétrograder dans la plus grande précipitation, dans le plus grand désordre ; et, ce qui semble inconcevable, rétrograder même des positions presque imprenables, comme celles de Woerth, ou imprenables de fait, comme Spickeren ; imprenables pour un ennemi en chair et en os, s'entend. Mais, en 1870, là, comme partout ailleurs, l'ennemi était un tout autre. Ceux qui ont lu l'ouvrage « La Lumière sur 1870 », paru il n'y a pas bien longtemps, ceux-là seuls connaissent maintenant la nature de cet ennemi : Ce n'était pas devant les baïonnettes allemandes que les soldats français rétrogradèrent, ah non ! c'était uniquement devant l'effet destructeur, pulvérisant de l'artillerie prussienne qu'ils durent précipitamment se mettre à couvert, soit dans un bois, soit dans un repli de terrain. A la seule exception de Saint-Privat, jamais l'ennemi ne procéda à l'attaque autrement qu'avec son artillerie. Et à quoi pouvait alors servir valeur individuelle du soldat français ? Mais, à s'obstiner là à faire preuve de vaillance et de mépris de la mort ; à attendre que tout fût abattu, jusqu'au dernier homme, à la distance de deux kilomètres et plus, où le feu du chassepot dut nécessairement rester d'un effet complètement nul ; à attendre là que tout fût haché, broyé par les éclats des obus prussiens faisant explosion 999 fois sur 1.000 ( juste l'inverse de l'effet des projectiles français ), c'était là non pas de la bravoure, mais de la folie toute pure !

L'auteur de l'ouvrage ci-dessus mentionné a parfaitement démontré, faits et preuves à l'appui, qu'avec l'artillerie dont elle disposait en 1870, la France n'aurait jamais pu être victorieuse, même si son armée avait été renforcée de 500.000 hommes encore et simultanément commandée par Napoléon Ier et Frédéric le Grand en personne.

Les termes de vainqueur et de vaincu n'ont de raison d'être que lorsqu'il y a eu lutte. Celle-ci n'ayant pas eu lieu, en 1870, ayant été absolument impossible par l'effet du feu de l'artillerie française, complètement nul, comme l'a dû être, à pareille distance, celui de l'infanterie aussi, et notre rôle ayant dès lors dû se borner à celui de nous faire misérablement anéantir sur place, sans le moindre profit pour la Patrie, nous, anciens de 1870, alors complètement sans défense, n'avons donc nulle raison de rougir de pareille « défaite ».

Si donc la France nous accorde ce modeste ruban, dont les couleurs devront dans tous les cas renfermer celle du deuil, elle s'honorera elle-même, et la jeune génération, en nous voyant, nous, survivants de 1870 dont les jours sont comptés, malheureuses victimes des circonstances d'alors, ces jeunes pourront dire : « Voilà encore un ancien soldat de l'Armée martyre ! »

Louis SAINTMARIE,
ancien soldat au 87e de Ligne.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 11 du 5 juin 1911, pages 1 et 2.

 

La médaille Commémorative de 1870-1871

Nous sommes heureux de publier, dans le présent numéro du Vétéran, le texte du projet de loi instituant la médaille commémorative pour les combattants de la guerre de 1870-1871, déposé sur le bureau de la Chambre par le Gouvernement. Ce texte complète les renseignements que nous avons déjà donnés sur ce projet dans le numéro du Vétéran du 5 mai dernier, en première page.

Nous ne doutons pas un seul instant que la Chambre des députés et le Sénat ne se montrent favorables au projet du Gouvernement. Ainsi va se réaliser enfin un de nos vœux les plus chers, en faveur duquel nous avons multiplié nos efforts. Nous tenterons une dernière démarche auprès du rapporteur de la Commission de l'armée, M. Clémentel, et de quelques-uns de nos amis du Parlement pour que la demande concernant la remise gratuite de la médaille, que nous avons déjà formulée à l'ancien ministre de la Guerre, le regretté M. Berteaux, obtienne satisfaction.

Nous ferons également remarquer à M. le rapporteur que l'article premier du projet de loi en question, tel qu'il est rédigé, pourrait faire supposer que, pour avoir droit à la médaille, il faut avoir été sous les drapeaux depuis le début jusqu'à la fin des hostilités. Nous demanderons donc que ce texte soit modifié comme suit : ... « au cours de la période s'étendant de juillet 1870 au mois de février 1871 inclus », au lieu de : « ... du mois de juillet 1870 au mois de février 1871 inclus. »

PROJET DE LOI

Projet de loi tendant à la création d'une Médaille Commémorative en faveur des anciens militaires et marins de tous grades qui ont pris part à la campagne de 1870-1871.

Présenté au nom de M. Fallières, président de la République Française, par MM. Monis, président du Conseil, ministre de l'Intérieur ; Général Goiran, ministre de la Guerre ; Delcassé, ministre de la Marine ; Caillaux, ministre des Finances.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Messieurs,

Depuis plusieurs années, la question s'est posée devant l'opinion d'accorder aux survivants de la campagne de 1870-1871 un témoignage effectif de la reconnaissance du pays. Le Parlement s'est fait l'interprète de ce sentiment en invitant le ministre de la Guerre, à l'occasion de la discussion du budget de l'exercice 1910, à déposer un projet de loi tendant à la création d'une Médaille commémorative de cette campagne. Le Gouvernement est heureux de s'associer à cette pensée patriotique, et nous avons, en conséquence, l'honneur de présenter à l'approbation du Parlement, le projet de loi dont la teneur suit, instituant une Médaille commémorative de la campagne de 1870-1871.

PROJET DE LOI

Le Président de la République Française décrète : Le Projet de loi dont la teneur suit sera présenté à la Chambre des Députés par le Président du Conseil, ministre de l'intérieur, le ministre de la Guerre, le ministre de la Marine et le ministre des Finances qui sont chargés d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

ARTICLE PREMIER. — Il est institué une médaille commémorative pour les combattants de 1870-1871, actuellement vivants, qui justifieront, par pièces authentiques, de leur présence sous les drapeaux du mois de juillet 1870 au mois de février 1871 inclus.

ART. 2. — L'insigne sera en bronze et du module de 30 millimètres. Il portera à l'avers l'effigie de la République, et au revers des attributs militaires rappelant la collaboration des troupes de la Guerre et de la Marine avec les millésimes « 1870-1871 ». Cette médaille sera suspendue au ruban par une bélière également en bronze. Le ruban aura une largeur de 36 millimètres. Il sera coupé dans le sens de sa longueur de neuf raies vertes et noires alternées, d'une largeur de 4 millimètres chacune.

ART. 3. — Le brevet de cette médaille sera délivré gratuitement aux ayants droit, qui devront se procurer l'insigne à leurs frais.

ART. 4. — N'auront pas droit au port de la médaille et ne recevront pas le brevet, les anciens militaires ou marins qui en auront été reconnus indignes pour mauvaise conduite ou condamnations au cours de la campagne.

ART. 5. — Un crédit de 31.000 francs est ouvert du ministre de la Guerre au titre de l'exercice correspondant à l'année de la promulgation de la présente loi pour permettre de subvenir aux premiers frais qu'occasionnera la mise en train de application de cette loi. Ce crédit figurera à un chapitre spécial du budget de la Guerre intitulé : « Médaille commémorative de la campagne de 1870-1871 » et prenant rang immédiatement avant les chapitres « pour mémoire » dans la série de ceux de la première section. ( 1re partie. — Intérieur. )

ART. 6. — Les mesures d'exécution, notamment celles concernant la production des demandes et des titres à l'appui, feront l'objet d'une instruction spéciale.

ART. 7. — Les ministres de la Guerre, de la Marine, de l'intérieur et des Finances sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution de la présente loi.

Par le Président de la République :
Le ministre de l'intérieur, président du Conseil, MONIS.
Le ministre de la Guerre, GOIRAN.
Le ministre de la Marine, DELCASSE.
Le ministre des Finances, CAILLAUX.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 12 du 20 juin 1911, page 1.

 

La médaille Commémorative de 1870-1871

L'article 1er du projet de loi tendant à la création d'une médaille commémorative de 1870-1871, déposé par le Gouvernement sur le Bureau de la Chambre des Députés, a donné lieu, comme nous le pressentions, à de nombreuses interprétations et nous a amené un grand nombre de lettres de camarades qui demandent des explications au sujet de la formule relative à la présence sous les drapeaux.

À ce projet de loi, renvoyé à la Commission de l'Armée, M. Méquillet député de Meurthe-et-Moselle, vient de déposer l'amendement suivant, ayant pour but de faire rédiger l'article 1er du projet comme suit :

« Il est institué une médaille commémorative, pour les combattants de 1870-1871, actuellement vivants, qui justifieront, par pièces authentiques ou par témoignages irrécusables, de leur présence sous les drapeaux du mois de juillet 1870 au mois de février 1871 inclus.

« La même médaille sera accordée à tous ceux qui, n'étant pas appelés, ont pris volontairement du service pendant la guerre de 1870. »

De son côté, M. Viseur, sénateur du Pas-de-Calais, a demandé par lettre, au ministre de la guerre, de vouloir bien lui confirmer ce qu'il était certain d'avoir bien compris, à savoir qu'il n'est pas nécessaire d'avoir été sous les drapeaux dès le mois de juillet 1870, pour avoir le droit à la médaille, mais qu'on exige d'y avoir été un moment quelconque de juillet 1870 à février inclus de 1871, et d'avoir participé à une ou plusieurs batailles pour la Défense nationale, cette dernière condition étant indispensable.

Le ministre de la guerre vient de répondre à M. le sénateur Viseur que « la présence ininterrompue sous les drapeaux pendant la période précitée, ne saurait être exigée des candidats à la médaille, et que tous les combattants qui auront servi, à un moment quelconque de cette période, pourront prétendre à l'obtention de ladite médaille. ». Et maintenant, attendons le dépôt du rapport et ayons confiance dans le vote du Parlement.

D'autre part, le ministre la guerre vient de communiquer à la presse la note suivante :

« Le ministre de la guerre reçoit journellement, depuis quelque temps un nombre considérable de lettres émanant de vétérans de la guerre de 1870-1871, qui sollicitent la concession de la médaille commémorative de cette guerre.

« La loi portant création de cette médaille n'ayant pas été votée, les requêtes ainsi formulées sont sans objet et il n'y sera pas répondu.

« Aussitôt après le vote de la loi, les ayants-droit à la médaille projetée seront avisés par une instruction, qui sera insérée au Journal officiel de la République Française et dans la presse, de la forme suivant laquelle ils devront adresser leurs demandes, et des pièces qu'ils auront à fournir pour la justification de leurs droits. »

Cette communication était nécessaire. Presque journellement, nous recevons au siège social, des lettres de camarades nous posant des questions identiques. Nous les prions de patienter quelque peu et de ménager leur temps et le nôtre pour des demandes qui resteront sans effets tant que la loi consacrant la création de la Médaille de 1870-1871 n'aura pas été votée.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 13 du 5 juillet 1911, page 1.

 

La médaille Commémorative de 1870-1871

On a distribué, le mardi 27 juin, à la Chambre des Députés, le rapport de M. de Montaigu, au nom de la commission de l'armée, sur la médaille de 1870-71. Le rapport se montre favorable à sa création. Auront droit à la médaille tous les anciens combattants qui pourront justifier, par pièces authentiques, de leur présence sous les drapeaux en France ou en Algérie entre les mois de juillet 1870 et de février 1871.

Comme nous l'avons déjà dit, d'un côté de la médaille, en bronze et d'un diamètre de 90 millimètres, sera représentée l'effigie de la République. De l'autre côté, des attributs militaires rappelleront la collaboration des troupes de terre et de mer, avec les millésimes « 1870-1871 ». Le ruban, auquel la médaille sera suspendue par une bélière, également en bronze, aura 36 millimètres de large. Neuf raies vertes et noires symbolisant « notre deuil et nos espérances », couperont alternativement le ruban dans le sens longitudinal. Pour les engagés volontaires, il y aura en outre une agrafe d'argent portant ces mots : « Engagé volontaire ».

Certaines objections ont été faites au mot « combattants » qui semblerait exclure du bénéfice de la médaille ceux qui, appartenant à des formations de combat non régulières, n'en ont pas moins concouru à la défense de la patrie. Mais, des explications fournies par M. le ministre de la Guerre, il résulte que le mot « combattants » doit être défini selon le droit des gens : « Toute personne qui prend part, à un titre quelconque, aux opérations de la guerre », et s'applique dès lors à l'armée régulière comme à l'armée auxiliaire.

Quant aux « pièces authentiques » nécessaires pour l'obtention du brevet : seront considérées comme telles les attestations de deux témoins. Certains combattants, en effet, et notamment une partie des gardes qui ont concouru à la défense de Paris, ne reçurent pas de livret. Il ne reste aucune trace de leur présence sous les drapeaux. Seul un témoignage pourra faire foi. Nous ferons connaître en temps opportun à nos camarades les formalités à remplir et les pièces exigées pour être mis en possession du brevet qui donnera droit à la médaille.

Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que le projet portant création d'une médaille commémorative de la campagne de 1870-1871 a été adopté sans observation par la Chambre des Députés dans sa séance du lundi 3 juillet courant. Les crédits afférents à la création de cette médaille ont été accordés par la Chambre à l'unanimité moins une voix ( 485 voix contre une ). Attendons maintenant le vote du Sénat.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 14 du 20 juillet 1911, pages 1 et 10.

 

La médaille Commémorative de 1870-1871

Le vote du projet de loi tendant à la création d'une médaille commémorative à attribuer aux anciens combattants de tous grades ayant pris part à la campagne de 1870-1871 est aujourd'hui un fait accompli. Le Sénat, dans sa séance du 12 juillet courant, a adopté le projet de loi que la Chambre des Députés avait voté dans sa séance du 3 du même mois. Ces deux votes ont eu lieu à l'unanimité moins une voix.

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LA MÉDAILLE COMMÉMORATIVE DE 1870-1871

L'idée de donner une médaille commémorative aux anciens combattants de la guerre franco-allemande remonte déjà loin, puisqu'en 1894, M. Noël, alors député, déposait une proposition de loi à ce sujet. En 1896, M. Georges Berry faisait à son tour une proposition semblable signée de plus de 300 députés, qui fut repoussée le 24 juin 1897. Le 25 janvier 1898, l'invitation au ministre de « créer une médaille » est votée par la Chambre des Députés par 234 voix contre 209, mais le Sénat repousse la proposition. Le 12 décembre 1898, la Chambre des Députés prend en considération la proposition qui n'est jamais rapportée. Le 25 février 1902, une nouvelle demande que fit M. Georges Berry d'inviter le ministre de la Guerre à créer une médaille pour les combattants de 1870 fut repoussée par 370 voix contre 111. Même résultat en 1903 et 1906 ( proposition Schneider, député de Belfort ). En 1907, M. Louis Puech, en 1908, M. Louis Marin ne sont pas plus heureux.

Tel est l'historique sommaire de la marche parlementaire qu'a suivie la question de la médaille commémorative de 1870-1871. Dès 1907, le Conseil Général de la Société des Vétérans, sur l'initiative de M. le Président Général, avait pris la résolution de mettre la question à l'ordre du jour de son Congrès annuel.

Bien accueillie par les camarades, elle figure pour la seconde fois à l'ordre du jour du Congrès de 1908. Cette année-là, au banquet qui eut lieu à l'issue de la cérémonie au monument de la Défense, à Courbevoie, le 15 novembre, sous la présidence de M. le Général Picquart, ministre de la Guerre, M. J. Sansbœuf s'adressant au ministre, s'exprima en ces termes au sujet de la médaille :

« Monsieur le Ministre,

Je n'abuserai pas de vos instants, mais je serais un bien mauvais Président si je ne profitais pas de votre présence parmi nous, pour vous entretenir de questions qui intéressent plus particulièrement notre Société. Je veux parler d'un vœu qui a été a même fait l'objet d'une délibération du Parlement, mais qui n'a pas encore obtenu de sanction : j'ai nommé la « Médaille commémorative de 1070-1871 ». Tous nos Vétérans demandent cette médaille ; tous les anciens militaires qui ont porté les armes contre l'Allemagne réclament ce signe distinctif des mauvais jours qu'ils ont passés il y a trente-huit ans, jours de luttes, de combats et de souffrances dont ils ont gardé un cuisant souvenir. Les survivants de l'Année Terrible verraient avec plaisir ce souvenir si triste, si douloureux qu'il soit, se transformer en un signe apparent sur leur poitrine. Mais, ce sera la « Médaille de la défaite », nous dira-t-on ? Soit, nous en convenons, mais il y a des défaites qui valent des victoires et, s'il y a des victoires qui se sont transformées en défaites, ce n'est pas la faute des soldats qui, toujours et partout, ont fait vaillamment leur devoir. La Prusse, après Iéna, a bien institué la médaille de la défaite, qui a fait vivre dans le cœur de nombreuses générations le souvenir des sanglants combats de 1806. Nous pouvons même dire que c'est ce souvenir qui l'a conduite à la victoire en 1870. Faisons de même. Comme les monuments qui jalonnent les routes d'un bout à l'autre du territoire pour rappeler aux générations le souvenir de ceux qui ont fait à la Patrie le sacrifice de leur vie, la Médaille commémorative de 1870-1871, sur la poitrine des survivants de cette époque néfaste, sera le signe attristant et inoubliable d'un passé déjà lointain et qui doit rester la leçon de l'avenir ! L'heure est venue, croyons-nous, Monsieur le Ministre, où le vœu émis par les soldats de 1870-1871 doit être réalisé. La Société des Vétérans, dans son Congrès de 1907, l'a adopté. Notre ferme intention est d'en poursuivre la réalisation et nous espérons que le Gouvernement aidant, le Parlement ne refusera pas cette satisfaction, — pour ne pas dire cette consolation — aux débris de ces Armées organisées ou improvisées, tantôt vaincues, et tantôt victorieuses, que la fatalité et le nombre ont fait succomber, malgré le courage et l'héroïsme dont elles ont fait preuve. »

Dans son discours, le ministre de la Guerre, faisant allusion aux paroles précédentes, répondit de la façon suivante :

« Monsieur le Président Général,

Beaucoup d'entre vous, messieurs, ont vu nos désastres ; vous-même, Monsieur le Président Général, m'avez convié tout à l'heure à accorder une distinction à ceux qui, dans ces jours néfastes, ont eu l'occasion de faire tout leur devoir. Messieurs, vous savez quel est sur ce point le sentiment actuel de la majorité du pays. Ce sentiment s'est manifesté l'an dernier par le vote de ses représentants au Parlement. Je crains bien qu'une nouvelle tentative faite en ce moment ne rencontre encore le même accueil. Mais vous êtes des gens persévérants. Persistez. Je ne vous ouvre pas un espoir immédiat, mais l'avenir vous appartient. ( Mouvements divers ). D'ailleurs, et depuis sa fondation, votre Association le prouve, on peut, sans porter un signe extérieur, pratiquer noblement et provoquer le culte du souvenir, faire que ce culte soit un enseignement et qu'il soit aussi un stimulant pour arriver à un état de choses meilleur. »

Dès ce moment, la Société des Vétérans poursuit la réalisation du projet avec vigueur et persévérance. Elle a posé catégoriquement la question devant l'opinion et le Gouvernement. En mai 1909, elle organise un vaste pétitionnement parmi toutes ses Sections ; elle fait un appel à toutes les associations patriotiques et militaires ; le 9 décembre de la même année, elle réunit les anciens combattants, dans un meeting qui se tient dans la salle des Fêtes du « Petit Journal » et auquel sont conviés MM. les sénateurs et députés ; par ses circulaires du 4 janvier et du 2 février 1910, elle invite tous ses membres à agir sans se lasser près de leurs représentants au Parlement ; des démarches pressantes et répétées sont faites au Palais-Bourbon et au Sénat par le Conseil Général ; M. Sansbœuf se rend en personne chez M. le Président du Conseil, puis chez le ministre de la Guerre qui, tous deux, lui conseillent d'abandonner ce projet et qui lui en font entrevoir le rejet s'il vient en discussion. Malgré cette invitation, M. le Président Général persiste et persévère, aidé et encouragé par ses collègues du Conseil Général.

La place nous fait défaut pour retracer, même dans leurs grandes lignes, les diverses phases par lesquelles a passé devant les deux Chambres cette question de la Médaille Commémorative. D'ailleurs, le Vétéran a exactement et minutieusement renseigné à ce sujet tous nos camarades. Ils trouveront ci-après les dernières délibérations du Parlement, qui ont été prises dans le courant de ce mois et qui ont assuré la victoire définitive à la légitime revendication des Vétérans.

Le vote de la médaille commémorative en faveur des combattants de 1870-1871 est donc un fait acquis. C'est un résultat dont nous pouvons nous féliciter, un succès dont nous pouvons être fiers. Il rejaillit sur la Société tout entière. Pour terminer, il convient de dire, que nous avons été largement secondés dans nos efforts et dans nos démarches pendant cette longue campagne par la presse et tout notamment par le « Petit Journal », son directeur, M. Prevet, et son collaborateur, M. René Lebaut. M. Georges Berry, député de la Seine, a particulièrement droit à notre gratitude, par c'est grâce à son énergique attitude à la tribune que la Chambre a voté, en 1910, d'amendement invitant le ministre de la Guerre à présenter un projet de loi portant création de la médaille de 1870-1871.

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Journal Officiel du 4 juillet 1911.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS

10e législature — Session ordinaire de 1911

COMPTE RENDU IN-EXTENSO. — 113e SÉANCE

Séance du lundi 3 juillet

SOMMAIRE

12. — 1ere délibération sur le projet de loi tendant à la création d'une médaille commémorative, en faveur des anciens militaires et marins de tous grades qui ont pris part à la campagne de 1870-1871, ( M. le comte Hubert de Montaigu, rapporteur ).
Observation : M. Paul Morel.
Déclaration de l'urgence.
Adoption des articles 1er à 6.
Adoption, au scrutin, de l'ensemble du projet de loi.

PRÉSIDENCE DE M. HENRI BRISSON

La séance est ouverte à deux heures.

12. — Adoption, après déclaration d'urgence, du projet de loi tendant à la création d'une médaille commémorative de la campagne de 1870-1871.

M. le président. — L'ordre du jour appelle la 1re délibération sur le projet de loi tendant à la création d'une médaille commémorative en faveur des anciens militaires et marins de tous grades qui ont pris part à la campagne de 1870-1871.

M. le comte Hubert de Montaigu. — La commission d'accord avec le Gouvernement, demande l'urgence.

M. le président. — Je mets aux voix la déclaration d'urgence.
( L'urgence, mise aux voix, est déclarée. )

M. le président. — La parole est à M. Paul Morel dans la discussion générale.

M. Paul Morel. — Nous avions, plusieurs de mes collègues et moi, l'intention de demander, par voie d'amendement, la création d'une agrafe spéciale en faveur des anciens défenseurs de Belfort. Mais, pour ne pas retarder le vote du projet, que notre amendement ajournerait à une date sans doute très éloignée, nous renonçons à cet amendement, nous réservant de déposer, s'il y a lieu, une proposition de loi spéciale.

M. le président. — Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

Je consulte la Chambre sur la question de savoir si elle entend passer à la discussion des articles. ( La Chambre, consultée, décide qu'elle passe à la discussion des articles. )

M. le président. — La commission m'a fait connaître que les amendements qui avaient été présentés par MM. Méquillet, l'amiral Bienaimé, Georges Berry, Haguenin, Amédée Chenal et Delpierre ont reçu satisfaction.
Je donne lecture de l'article 1er.

« Art. 1er. — Il est institué une médaille commémorative pour les combattants de 1870-1871, qui justifieront, par pièces authentiques, de leur présence sous les drapeaux en France, en Algérie ou à bord des bâtiments armés, entre le mois de juillet 1870 et le mois de février 1871 inclus. »
Personne ne demande la parole sur l'article 1er ?
Je le mets aux voix.
( L'article 1er, mis aux voix, est adopté. )

« Art. 2. — L'insigne sera en bronze et du module de 30 millimètres. Il portera, à l'avers, l'effigie de la République, et au revers, des attributs militaires rappelant la collaboration des troupes de la guerre et de la marine, avec les millésimes « 1870-1871 » Cette médaille sera suspendue au ruban par une bélière également en bronze. Le ruban aura une largeur de 36 millimètres. Il sera coupé, dans le sens de sa longueur, de neuf raies vertes et noires alternées, d'une largeur de 4 millimètres chacune. Pour les engagés volontaires, une agrafe en argent barrant le ruban portera la mention « Engagé volontaire ». Cette mention figurera également sur le brevet. — ( Adopté. )

« Art. 3. — Le brevet de cette médaille sera délivré gratuitement aux ayants droit, qui devront se procurer l'insigne à leurs frais. » — ( Adopté. )

« Art. 4. — N'auront pas droit au port de la médaille et ne recevront pas le brevet les combattants qui en auront été reconnus indignes pour mauvaise conduite ou condamnations au cours de la campagne. » — ( Adopté. )

« Art. 5. — Un crédit de 30.000 francs est ouvert au ministre de la guerre, au titre de l'exercice correspondant à l'année de la promulgation de la présente loi, pour permettre de subvenir aux premiers frais qu'occasionnera la mise en train de l'application de cette loi. Ce crédit figurera à un chapitre spécial du budget de la guerre intitulé : « Médaille commémorative de la campagne 1870-1871 » et prenant rang immédiatement avant les chapitres « Pour mémoire » dans la série de ceux de la 1re section ( 1re partie. — Intérieur. ) » — ( Adopté. )

« Art. 6. — Les mesures d'exécution, notamment celles concernant la production des demandes et des titres à l'appui, feront l'objet d'une instruction spéciale. » — ( Adopté. )

M. le président. — Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je rappelle à la Chambre que la commission propose de modifier le titre de ce projet de la manière suivante :

« Projet de loi tendant à la création d'une médaille commémorative en faveur des anciens combattants de tous grades qui ont pris part à la campagne de 1870-1871.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Le titre demeure ainsi modifié.
Je mets aux voix, par scrutin public, l'ensemble du projet de loi.
Le scrutin est ouvert. ( Les votes sont recueillis. — MM. les secrétaires en font le dépouillement. )

M. le président. — Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre des votants : 486
Majorité absolue : 244
Pour l'adoption : 485
Contre : 1

La Chambre des députés a adopté.

Le chef du Service sténographique de la Chambre des députés,
V. VIOLETTE DE NOIRCARME

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Journal Officiel du 13 juillet 1911.

SÉNAT

Session ordinaire de 1911

COMPTE RENDU IN-EXTENSO. — 82e SÉANCE

Première séance du mercredi 12 juillet

SOMMAIRE

18. — Dépôt et lecture, par M. Cauvin, d'un rapport fait au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi tendant à la création de médailles commémoratives à attribuer aux anciens combattants de tous grades ayant pris part à la campagne de 1870-1871 — Déclaration de l'urgence, — Discussion immédiate — Discussion générale : MM. Dominique Delahaye, Cauvin, rapporteur ; Messimy, ministre de la Guerre ; Tillaye, Viseur.

20. — Reprise de la discussion du projet de loi tendant à la création de médailles commémoratives à attribuer aux anciens combattants de tous grades ayant pris part à la campagne de 1878-1871 : MM. Dominique Delahaye, le ministre de la Guerre. — Clôture de la discussion générale. — Art. 1er : MM. Servant, Cauvin, rapporteur ; Boudenoot, le ministre de la Guerre. Adoption. — Art. 2. 8. 4, 6 et 6. Adoption. — Adoption, au scrutin, de l'ensemble du projet de loi.

PRÉSIDENCE DE M. ANTONIN DUBOST

La séance est ouverte à 10 heures.

Dépôt et lecture d'un rapport concernant la médaille des Combattants de 1870. — Déclaration de l'urgence. — Discussion immédiate. — Adoption.

M. le président. — La parole est à M. Cauvin.

M. Cauvin. — J'ai l'honneur de déposer sur le bureau du Sénat, un rapport fait au nom de la commission de l'armée, chargée d'examiner un projet de loi, adopté par la Chambre des députés, tendant à la création d'une médaille commémorative en faveur des anciens militaires et marins de tous grades qui ont pris part à la campagne de 1870-1871.

Voix nombreuses. — Lisez ! Lisez !

M. le président. — On demande la lecture du rapport ? ( Adhésion. )
Il n'y a pas d'opposition ?...
La parole est à M. le rapporteur.

M. le rapporteur. — Messieurs, le Gouvernement a déposé, 29 mai 1911, un projet de loi tendant à créer une médaille commémorative en faveur des anciens combattants de tous grades qui ont pris part à la campagne de 1870-1871, en France et en Algérie. Ce projet a été adopté par la Chambre des députés dans sa séance du 3 juillet dernier. Nous n'avons pas besoin d'insister longuement sur les considérations qui ont inspiré la création de cette médaille.

Comme le disait le regretté M. Berteaux, à la séance du Sénat du 15 avril dernier, il est légitime de penser que le courage, même malheureux, doit être honoré, et il peut y avoir intérêt à rappeler aux jeunes gens qui n'ont pas vécu les heures terribles, qu'à un certain moment la patrie a traversé des épreuves douloureuses. L'idée s'est fait jour depuis longtemps déjà dans les esprits ; en 1894, notre collègue M. Noël, alors député, déposait une proposition de loi  à ce sujet, et à différentes reprises, tant à la Chambre qu'au Sénat, la question fut de nouveau soulevée.

Votre commission de l'armée a toujours pensé qu'il appartenait au Gouvernement de prendre l'initiative en pareille matière : elle se rallie complètement au texte qui vous est soumis. Ainsi qu'il résulte des explications fournies par M. le ministre de la guerre à la chambre des députés, le mot « combattant » doit être défini, selon le droit des gens, « toute personne qui prend part à un titre quelconque aux opérations de la guerre » et s'applique dès lors à l'armée régulière comme à l'armée auxiliaire.

L'article premier du projet stipule que ceux qui voudront obtenir la médaille commémorative devront justifier par pièces authentiques, de leur présence sous les drapeaux. Votre commission ne se dissimule pas la difficulté et quelquefois même l'impossibilité pour les intéressés de produire un titre régulier de combattants ; il appartiendra à l'autorité militaire de s'entourer de toutes les garanties nécessaires pour que la médaille ne soit délivrée qu'à ceux qui en sont véritablement dignes. Nous ne saurions entrer dans les vues de M. le rapporteur de la Chambre qui déclare que l'attestation de deux témoins sera considérée comme une pièce authentique.

La commission de l'armée de la Chambre a fait au texte du Gouvernement une addition à laquelle votre commission souscrit pleinement, et qui consiste à délivrer aux engagés volontaires un insigne spécial : il convient, en effet, d'accorder un témoignage spécial à ceux que leur âge dispensait du service et qui sont accourus à l'appel de la patrie.

Votre commission vous propose d'adopter le projet de loi qui a été voté par la Chambre des députés. J'ai l'honneur de demander au Sénat, d'accord avec M. le ministre de la guerre, de vouloir bien déclarer l'urgence et ordonner la discussion immédiate.

M. le président. — Je suis saisi d'une demande de discussion immédiate : elle est signée par vingt de nos collègues dont voici les noms : MM. Chapuis, Cordelet, docteur Goy, Empereur, P. Baudin, Cabart-Danneville, Louis Blanc, Reymonenq, Belhomme, Tillaye, Catalogne, Ponteille, Em, Cauvin, E. Noël, Riquet, Guingand, Gravin, Besnard, Hayez, plus quatre signatures illisibles.

Je consulte le Sénat sur l'urgence qui est demandée par la commission, d'accord avec le Gouvernement.
Il n'y a pas d'opposition ?...
( L'urgence est déclarée ).
Je consulte le Sénat sur la discussion Immédiate.
( La discussion immédiate est ordonnée. )

M. le président. — Quelqu'un demande-t-il la parole dans la discussion générale ?

M. Dominique Delahaye. — Je la demande monsieur le président.

M. le président. — Vous avez la parole.

M. Dominique Delahaye. — Messieurs, si ce projet ne contenait pas deux omissions graves, j'y applaudirais sans restriction. Mais les blessés de la guerre de 1870 — ceux qui n'ont pas obtenu la Médaille militaire — ont été complètement oubliés, alors que, deux ou trois fois, sur mon intervention à la tribune du Sénat et à maintes reprises, dans des conversations à la Chambre avec les députés qui se sont le plus occupés de la question, il avait été reconnu bon de leur accorder au moins un insigne distinctif.

A l'origine, j'avais proposé pour les engagés volontaires l'étoile et pour les blessés l'agrafe. Le texte qui nous est soumis comporte, pour les engagés volontaires, une agrafe avec ces mots : « Engagé volontaire » ; j'applaudis à cette proposition ; mais je reviens aux blessés pour lesquels je propose l'étoile : comme ils ont eu une étoile sur la peau on pourrait bien en mettre une maintenant sur leur ruban. Qu'elle soit en argent ou faite d'un autre métal, peu importe, mais il faut que lorsqu'on rencontrera un combattant de 1870, on puisse dire : Celui-ci est un volontaire et celui-là est un blessé de la guerre de 1870. ( Mouvements divers. )

M. Saint-Germain. — Cependant, ils ont tous accompli leur devoir, et le même devoir.

Plusieurs sénateurs. — N'est pas blessé qui veut ! ( Mouvements divers. )

M. le rapporteur. — Le fait d'être blessé ne dépend pas de celui qui reçoit la blessure !

M. Dominique Delahaye. — J'admire vraiment le raisonnement de ces messieurs, qui trouvent que les blessés pour faits de guerre ne méritent aucune récompense ! ( Protestations. ) M. le ministre de la guerre sera-t-il de cet avis ? Les croix et les médailles ont été faites pour récompenser les actes héroïques, mais il n'y a pas que ceux qui ont fait un acte héroïque qui méritent une récompense. D'abord nombre de blessés sont des héros inconnus ; être blessé pendant la bataille c'est accomplir l'acte de sacrifice le plus beau pour la patrie ! Et vous ne voudriez pas que ces braves gens pour l'honneur de leur famille et la consolation de leurs vieux jours, puissent se promener avec une étoile sur leur ruban attestant qu'ils ont été blessés pour la France ?

Qu'y a-t-il donc là qui vous choque ? Faite bonne justice : que votre justice distributive, en récompensant les uns parce qu'ils ont fait un peu plus que leur devoir, n'oublie pas les autres parce qu'ils ont été blessés ! Parmi ceux qui ont reçu la Médaille militaire, beaucoup ne la méritaient pas davantage que ceux qui n'ont rien eu du tout ! A cet égard, je pourrais vous lire, entre autres une lettre d'un de mes compatriotes qui, après trois campagnes et deux blessures, n'a jamais rien obtenu !

Ces braves soldats de jadis, qui sont peu nombreux, devraient avoir la Médaille militaire. Si vous ne voulez pas la donner à tous, j'insiste pour que vous leur accordiez au moins cette étoile que je demande pour eux. Voici maintenant un autre oubli : le port des rubans à la boutonnière est très fréquent en France, puisqu'il est rare de rencontrer un homme qui n'en ait pas. ( Sourires. ) Mais cela n'est pas légal. ( Dénégations. ) Allez-vous faire en sorte que, pour la médaille de 1870, un usage illégal s'introduise ? Un beau jour, on supprimera beaucoup de ces rubans ; en sera-t-il de même pour le ruban de la médaille de 1870 ? Pour que ses titulaires aient le droit de porter un ruban à la boutonnière, en tenue civile, faut donc le dire dans votre loi.

M. le ministre. — Pas du tout !

M. Dominique Delahaye. — Je vous demande pardon : il est illégal de porter à la boutonnière un ruban dont le port n'est pas autorisé par une loi ; et ceux qui le font peuvent être poursuivis. Allez-vous obliger les décorés de 1870 à se promener en civil avec la médaille ? Ne tolérerez-vous pas qu'ils se bornent à porter un ruban distinctif à leur boutonnière ? Je demande que cela soit dit par la loi. Si vous n'accordez pas ce que je vous demande, messieurs, vous rétrécirez votre geste.

Vous allez voter une loi à laquelle doivent applaudir tous les combattants de 1870-1871 : mais il y manque, je le répète, deux choses essentielles. Pour la première, ce n'est pas ma faute, car je vous ai prévenus trois fois ; pour la seconde, je l'ignorais moi-même : ce sont les intéressés qui sont venus m'en avertir. Mais puisque le Parlement est encore réuni ; puisque ces modifications légères, mais logiques, ne peuvent soulever aucune discussion à la Chambre des députés ; puisque vous pouvez ainsi achever votre geste patriotique, je vous demande instamment, messieurs, d'adopter l'amendement que je viens d'indiquer et dont je vais remettre le texte à M. le président.

M. le président. — La parole est à M. le rapporteur.

M. le rapporteur. — Messieurs, votre commission estime qu'il n'y a pas lieu d'instituer un signe spécial pour les blessés ; si nous adoptions cette proposition, il faudrait l'étendre, en bonne logique, à la croix de la Légion d'honneur, et à la Médaille militaire, puisque ces décorations ne comportent rien de particulier en faveur des blessés.

En ce qui touche, d'autre part, le port du ruban sans la médaille, je dirai à notre honorable collègue que la commission avait même envisagé, un moment, une solution qui aurait consisté à délivrer une médaille sans ruban, destinée à constituer exclusivement un souvenir d'un caractère officiel pour la famille et qui n'aurait pas été portée en public.

M. Dominique Delahaye. — Comment vous auriez donné une médaille que le titulaire n'aurait pas eu le droit de porter !

M. le rapporteur. — C'est une simple indication que je crois devoir vous donner, puisque la commission, en fait, a accepté le ruban.

M. Dominique Delahaye. — Je demande la parole.

M. le rapporteur. — Donc, la commission à accepté le port de la médaille ; elle admet que le ruban puisse être porté sans elle. Au reste, d'une façon générale, les dispositions qui accordent des décorations ne contiennent aucune interdiction relative au ruban seul. C'est ainsi que, pour les palmes académiques, le Mérite agricole, la médaille de la mutualité, etc., il n'a jamais été dit que le ruban ne pourrait pas être porté seul. ( Adhésion. )

En ce qui touche le cas spécial qui nous occupe, une disposition particulière me paraîtrait au moins inutile, d'autant plus que, si elle était adoptée, il pourrait, je le redis encore, devenir nécessaire de la viser dans tous les cas analogues. ( Assentiment. )

M. Messimy ( ministre de la guerre ). — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre. — M. Delahaye a demandé, messieurs, d'introduire dans le texte du projet de loi deux modifications, l'une ayant trait à une étoile spéciale pour les blessés, et l'autre au port du ruban en civil. Je me permets tout d'abord de lui faire remarquer que si l'on introduit ces modifications, je ne sais pas si la loi proposée pourra être votée par la Chambre des députés. ( Très bien ! )

En outre, ainsi que vient très justement de vous le dire M. le rapporteur, si vous admettez, dans l'espèce, le port d'une marque distinctive spéciale pour les blessés, vous serez obligés d'étendre cette mesure à la Médaille militaire et à la Légion d'honneur, qui peuvent être accordées, actuellement, aussi bien à l'ancienneté de service que pour des blessures en service commandé. Je ne crois vraiment pas que ce soit indispensable ni urgent. ( Adhésion. )

Si vous voulez déposer une proposition de loi spéciale concernant la création de cet insigne particulier, monsieur Delahaye, je vous promets de l'examiner avec le désir de donner satisfaction aux intéressés ; mais cette proposition devra faire l'objet d'une étude et d'une discussion spéciales. En ce qui touche la seconde question traitée par l'honorable sénateur, je ne crois pas qu'aucune de ces décorations françaises que l'on voit si communément à la boutonnière de nos compatriotes existe en vertu d'une loi conférant le droit de porter un petit ruban en civil ; mais je prends très nettement l'engagement, au nom du Gouvernement dont je fais partie, et je crois pouvoir dire au nom des gouvernements qui nous succéderont, de ne chercher jamais noise à tous ces braves gens qui ont fait la guerre de 1870 et qui nous ont montré, à nous les jeunes, à nous leurs cadets, quel serait notre devoir en cas de guerre. ( Vive approbation. )

Vous avez dit, monsieur Delahaye, que nous allions rétrécir notre geste en refusant ces deux dispositions. Ce serait plutôt rétrécir notre geste que de refuser à ces combattants de 1870 d'avoir comme cadeau, pour la fête de la nation qui a lieu dans deux jours, cette médaille de 1870 qu'ils attendent depuis si longtemps et que je crains qu'ils n'obtiennent pas si nous modifions le projet de loi qui nous est soumis. ( Très bien ! )

M. Tillaye. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. Tillaye.

M. Tillaye. — Messieurs, je monte à cette tribune pour remercier M. le ministre de la guerre des déclarations qu'il vient de faire. Il est bien juste que les braves gens qui ont combattu en 1870 puissent porter leur ruban sans être obliges de porter en même temps la médaille commémorative. Ce sera d'un bon exemple pour tous ; ceux qui les rencontreront pourront dire : « Ce ruban est la marque distinctive de ceux qui, en 1870, ont défendu le territoire national envahi. »

Cela dit, messieurs, permettez-moi de vous exprimer toute la joie que j'éprouve de voir enfin aujourd'hui mes camarades de 1870 obtenir une récompense depuis si longtemps attendue. Les braves gens qu'ils sont ! Combien ils seront heureux de recevoir cette décoration si méritée ! N'oublions jamais leur vaillance et leur esprit de sacrifice.

Ils ont vécu des heures cruelles et ressenti profondément les angoisses de la défaite. Mais, avec un courage sans égal, ils ont lutté pied à pied, comme je le disais tout à l'heure, pour la défense du territoire envahi, et ils n'oublient pas, depuis cette date lointaine, que c'est la République qui, à ce moment, a sauvé l'honneur de la France. ( Très bien ! vifs applaudissements. )

M. Viseur. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. Viseur.

M. Viseur. — Messieurs, au 31 mai dernier, pour avoir l'interprétation exacte du projet de loi, j'écrivais à M. le ministre de la guerre de vouloir bien me renseigner. Il était dit dans le projet : « ceux qui, du mois de juillet 1870 au mois de février 1871 inclus auront été sous les drapeaux » ; je lui demandais s'il fallait être sous les drapeaux dès le mois de juillet, car, dans ces conditions, ceux qui ont figuré comme mobilisés ne pourraient pas participer à la médaille militaire.

Je n'étais pas un partisan de la médaille, car si 1870 rappelle des actes héroïques, il rappelle aussi de lamentables défaites, des impérities, des capitulations. Mais puisque nos collègues la demandaient, j'étais décidé, disais-je à M. le ministre de la guerre, à la voter en faveur de ceux qui ont participé à des combats. Mais si vous la donnez, par exemple, aux mobilisés qui se sont laissé prendre par quelques uhlans, sans la moindre résistance ; à ceux qui, rassemblés au camp de Conlie, avaient disparu le lendemain ; à ceux du camp de Toulouse, où il a fallu nommer deux commissaires civils réputés pour leur énergie, Lissagaray et Georges Perin, pour les retenir et pour les faire instruire, je n'en suis plus. Mais je la donnerai volontiers à tous les soldats qui ont figuré sur les champs de bataille, aux mobilisés du bataillon de Roubaix qui, à Bapaume, se sont fait tuer avec leur commandant ; aux mobilisés d'Arras qui, à la bataille de Saint-Quentin, se sont également fait tuer, leur commandant en tête, pour sauver l'armée du Nord et assurer sa retraite. ( Très bien ! très bien ! )

Mais la donner à ceux qui ont tout fait pour ne pas être au champ de bataille. Je n'y consens pas. J'ai connu près de chez moi un mobilisé qui a déserté. Il a été honni de tous, marqué au doigt par tous ses concitoyens pendant toute son existence. Je ne voterai le projet de loi que s'il s'applique exclusivement à ceux qui ont été sur un champ de bataille et ont fait face à l'ennemi. Hors de là, la médaille ne sera qu'un hochet de vanité. ( Très bien ! )

M. Dominique Delahaye. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. Delahaye.

M. Dominique Delahaye. — Monsieur le ministre de la guerre, si on prenait vos paroles à la lettre, j'apparaîtrais aux yeux du pays comme un homme qui veut retarder le vote de la loi sur la médaille de la guerre de1870-71.

M. le ministre de la guerre. — Je le crains seulement.

M. Dominique Delahaye. — Vous le craignez ! Eh bien, pour dissiper vos craintes, faites-moi la promesse de porter ma proposition à la Chambre des députés ; je suis bien sûr qu'elle sera votée. De cette façon, cela ne retardera rien du tout. Vous me dites de déposer une proposition de loi. Si encore vous me promettiez de déposer vous-même un projet de loi, cela me rassurerait. Voilà pourtant ce que vous devriez faire pour compléter votre geste. Les blessés n'auront pas leur étoile, sous le prétexte que les titulaires de croix et de médailles militaires n'ont pas de signe distinctif, quoiqu'ils aient été blessés.

Réfléchissez-y : ce ne serait pas une si mauvaise innovation à introduire dans nos décorations. Il y a, parmi ceux qui reçoivent la croix de la Légion d'honneur et la Médaille militaire, des amis du pouvoir, des protégés ; tandis que ceux qui auraient obtenu l'étoile pourraient entendre dire sur leur passage : « Il y a eu là du sang versé. » Mais je ne demande pas cela pour le moment. Je demande une étoile pour les blessés de la guerre qui attendent encore une récompense. Il s'agit en somme de commémorer des blessures reçues dans des batailles qui se sont passées il y a quarante ans.

Vous avouerez bien que cette situation est tout à fait exceptionnelle ! En tout cas je suis persuadé que vous causerez une déception à tous cas braves dont un grand nombre peuvent dire : « Moi aussi j'ai peut-être mérité la Médaille militaire. » Une petite étoile leur ferait tant de plaisir ! Vous leur sembleriez alors animé d'un esprit de véritable justice distributive et tous les souvenirs de la guerre de 1870 renaîtraient plus vivants et souvent plus réconfortants.

Vous me dites, monsieur le ministre, que vous ne tracasserez pas les titulaires de la médaille, s'ils portent le ruban. C'est un ruban qu'on doit porter autrement que par tolérance, monsieur le ministre de la guerre ! ( Bruit. ) Du moment que ce n'est pas dans la loi, ce n'est qu'une tolérance ; du jour au lendemain on peut les balayer. Vous promettez de ne pas le faire ; mais connaissez-vous vos successeurs ? Supposez qu'arrivent au pouvoir des antimilitaristes. ( Exclamations. ) Ils n'en sont pas loin. ( Nouvelles interruptions. ) Qu'ils veuillent tracasser les gens, et nous n'avons plus de sécurité. Voulez-vous me promettre de déposer le projet de loi vous-même, après avoir examiné la question ?

M. le ministre de la guerre. — Pour ce qui est des blessés, je fais mienne votre proposition pour l'avenir, mais je vous demande d'abord de voter le projet de loi tel quel. Je trouve votre suggestion au sujet des blessés tout à fait juste.

M. Dominique Delahaye. — Nous voilà d'accord, je vous remercie, mais pourquoi n'y ajouteriez-vous pas le ruban ?

M. Tillaye. — Ce n'est pas nécessaire.

M. le ministre. — Votez toujours la loi telle quelle.

M. Dominique Delahaye. — Je crois qu'en ce moment nous sommes dans une équivoque. Je suis décidé, après la promesse de M. le ministre de la guerre, à voter le projet de loi tel qu'il nous le présente ; mais puisque M. le ministre fait sienne ma proposition de l'étoile pour les blessés, je lui demande de faire sienne aussi mon autre proposition du droit légal de porter le ruban sur l'habit civil.

M. Grosjean. — Tout ce qui n'est pas défendu est permis.

M. Dominique Delahaye. — Pas en matière de décoration. On peut poursuivre les gens qui portent indûment un ruban. La preuve en est que, tout récemment, nous avons vu poursuive des marchands de décorations multicolores. ( Mouvements divers. ) C'est pour cela, monsieur le ministre, que je vous demande de vouloir bien faire consacrer par la loi le droit, pour les civils, de porter le ruban de la guerre de 1870-1871. Cela n'est pas difficile et donnera sécurité aux intéressés.

M. le président. — Quelqu'un demande-t-il la parole dans la discussion générale ?...
Je donne lecture de l'article premier :
« Article premier. — Il est institué une médaille commémorative pour les combattants de 1870-1871 qui justifieront par pièces authentiques de leur présence sous les drapeaux, en France ou en Algérie, entre le mois de juillet 1870 et le mois de février 1871 inclus. »

M. Servant. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. Servant.

M. Servant. — Messieurs, je désire demander à M. le ministre de la Guerre quelles justifications pourront être exigées des candidats à la médaille commémorative dont il est question. Ces justifications seront quelquefois difficiles à fournir, parce qu'il existe des engagés volontaires — et ce ne sont pas les moins méritants — qui ne peuvent pas produire leur acte d'engagement. Ces actes existent peut-être encore au ministère de la guerre, mais eux-mêmes les ont perdus depuis lors. J'ai entendu dire aussi à certains engagés qu'il ne restait au ministère aucune trace de ces engagements. Je vous en parle à bon escient, puisque c'est à moi que la réponse a été faite. Alors je demande à M. le ministre de la guerre comment il serait possible, pour ceux qui n'auraient pas de pièces justificatives, de prouver leur engagement.

M. le rapporteur. — Par l'âge de l'intéressé et l'époque de son incorporation, il y a la preuve d'un engagement au moins tacite, s'il n'a pas été contracté par écrit. Celui qui établira que, sans être tenu au service, il a fait la campagne de 1870-71, pourra être considéré comme un engagé volontaire.

M. Servant. — Précisément ! Comment pourra-t-il justifier qu'il est parti ? C'est là ma question.

M. le rapporteur. — Par le fait qu'il a appartenu à un organisme militaire.

M. le ministre de la guerre. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. le ministre de la guerre.

M. le ministre. — Messieurs la question posée par l'honorable M. Servant est évidemment très délicate. En effet, dans la période troublée que nous avons traversée depuis juillet 1870 jusqu'à mai-juin 1871, un certain nombre d'hommes ont fait du service militaire, ont combattu même, ont été blessés sans qu'il en reste trace sur aucun document officiel, notamment pour la défense de Paris. Il y a des gardes de Paris qui ont pris part aux dernières opérations du siège, à Buzenval particulièrement, et rien n'indique plus leur passage sous les drapeaux. Il en est de même pour les francs-tireurs constitués en corps réguliers. Certains de ces corps avaient des registres, mais d'autres n'en avaient pas.

Pour les hommes qui ont une situation militaire régulière, la question n'est pas malaisée à résoudre. Pour tous les autres, il n'y a qu'un moyen : c'est la notoriété publique. Je ne pourrai faire qu'une chose : c'est d'instituer au ministère de la guerre une petite commission qui examinera la valeur des témoignages apportés et ces demandes présentées. Ces témoignages et ces demandes seront examinés avec la plus entière bonne foi. ( Très bien ! )

M. Boudenoot. — Je me permets de faire observer à M. Servant que l'article 6 apporte une réponse à sa question ; en voici les termes : « Les mesures d'exécution, notamment celles concernant la production des demandes et des titres à l'appui, feront l'objet d'une instruction spéciale. » C'est la commission dont a parlé M. le ministre qui sera chargée de rédiger cette instruction spéciale.

M. Servant. — Je remercie M. le ministre des explications qu'il vient de nous fournir. Elles donneront toute satisfaction aux intéressés, qui craignaient, jusqu'à ce jour, de ne pouvoir être compris, dans une distinction qu'ils n'auraient peut-être pas sollicitée, mais que d'autres moins méritants qu'eux auraient pu obtenir, ce qui les aurait mis dans un état d'infériorité. ( Très tien ! très bien ! )

M. le ministre. — Je désire présenter une observation au Sénat. Elle m'a été suggérée par une réflexion d'un membre de cette Assemblée, sous cette forme : « Y aura-t-il lieu d'accorder la médaille de 1870 aux hommes qui auront déserté ? » ( Dénégations sur un grand nombre de bancs. )

Je tiens à déclarer de suite et très nettement qu'en aucune circonstance et sous n'importe quel prétexte cette récompense ne sera accordée à ceux qui ont abandonné leur poste. Si je fais cette déclaration, c'est pour éviter toute fausse interprétation de l'article 4 du projet ; l'abandon d'un poste constituant l'un des actes de mauvaise conduite qui y sont visés.

M. Boudenoot. — M. le ministre a parfaitement raison. Je me permets d'ailleurs de faire observer que l'article 4 tranche la question. Que dit-il, en effet ?

« N'auront, pas droit au port de la médaille et ne recevront pas le brevet les combattants qui en auront été reconnus indignes... » ( Très bien ! très bien ! )

M. le président. — Il n'y a pas d'autre observation sur l'article premier ?
Je le mets aux voix.
( L'article premier est adopté. )

M. le président. — « Art. 2. — L'insigne sera en bronze et du module de 30 millimètres. Il portera, à l'avers, l'effigie de la République, et au revers, des attributs militaires rappelant la collaboration des troupes de la guerre et de la marine, avec les millésimes « 1870-1871. » Cette médaille sera suspendue au ruban par une bélière également en bronze. Le ruban aura une largeur de 36 millimètres. Il sera coupé, dans le sens de sa longueur, de neuf raies vertes et noires, alternées, d'une largeur de 4 millimètres chacune. Pour les engagés volontaires, une agrafe en argent barrant le ruban portera la mention « Engagé volontaire ». Cette mention figurera également sur le brevet. » — ( Adopté. )

« Art. 3. — Le brevet de cette médaille sera délivré gratuitement aux ayants-droit, qui devront se procurer l'insigne à leurs frais. » — ( Adopté. )

« Art. 4. — N'auront pas droit au port de la médaille et ne recevront pas le brevet les combattants qui en auront été reconnus indignes pour mauvaise conduite ou condamnations au cours de la campagne. » — ( Adopté. )

« Art. 5. — Un crédit de 30,000 francs est ouvert au ministre de la guerre, au titre de l'exercice correspondant à l'année de la promulgation de la présente loi pour permettre de subvenir aux premiers frais qu'occasionnera la mise en train de l'application de cette loi. Ce crédit figurera à un chapitre spécial du budget de la guerre intitulé : « Médaille commémorative de la campagne de 1870-1871 » et prenant rang immédiatement avant les chapitres « Pour mémoire » dans la série de ceux de la première section ( 1re partie. — Intérieur. ) » — ( Adopté. )

« Art. 6. — Les mesures d'exécution, notamment celles concernant la production des demandes et des titres à l'appui, feront l'objet d'une instruction spéciale. — ( Adopté. )

Je mets aux voix l'ensemble de la loi.
Il y a lieu à scrutin. ( Les votes sont recueillis. — MM. les secrétaires en opèrent le dépouillement. )

M. le président. — Voici, messieurs, le résultat du scrutin :

Nombre de votants : 886
Majorité absolue : 144
Pour : 285
Contre : 1

Le Sénat a adopté.

Le Chef du service de la sténographie du Sénat,
Armand LELIOUX

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 15 du 5 août 1911, page 1.

 

La médaille Commémorative de 1870-1871

Depuis le vote par le Parlement, de la Médaille Commémorative de 1870-1871, nos Camarades ne se lassent pas de nous demander à quel moment ils pourront entrer en possession du brevet leur donnant droit au port de cette médaille. En même temps, il nous questionnent sur la nature des pièces à produire dans ce but.

Nous prions instamment nos Camarades de nous éviter une correspondance superflue, à laquelle il nous est à l'heure actuelle impossible de répondre d'une façon précise, puisque le Ministère de la Guerre n'a pas encore publié les règlements et les instructions relatifs à la remise du brevet de la Médaille aux ayants-droit.

D'après nos informations, ces instructions instructions seront communiquées aux Préfets qui seront invités à en donner connaissance à leurs administrés. Les Vétérans y trouveront un modèle de demande avec une liste des pièces à fournir. Tout document prouvant la présence dans un corps de troupe ou même l'indication du souvenir exact du corps et des dates permettant les recherches aux archives, pourront suffire à la justification exigée.

Le Ministère de la Guerre centralisera toutes les demandes, mais il recevra directement celles émanant des anciens combattants de l'armée active ; c'est aux Préfets que les anciens mobilisés devront adresser la leur ; au Préfet de police pour les anciens gardiens de la paix ; au ministère des Finances pour les anciens douaniers ; au ministère de l'Agriculture pour les anciens gardes forestiers.

Que nos Camarades préparent donc leurs documents justificatifs, car, en dépit de la dissemblance de textes de l'article premier du projet de loi, voté par les deux Chambres, qui apportera un certain retard à la promulgation de la loi, ils n'attendront plus bien longtemps le témoignage de la reconnaissance du pays.

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 20 du 28 octobre 1911, page 3.

 

LA MÉDAILLE COMMÉMORATIVE DE 1870-1871

Dans le dernier numéro du Vétéran, nous avons publié l'Instruction ministérielle relative aux formalités à remplir pour la délivrance de la médaille de 1870-1871. Depuis, ainsi que nos Camarades ont pu le lire en première page du présent numéro, le Conseil Général a fait les démarches nécessaires pour simplifier le plus possible ces formalités.

Comme nous l'avons dit précédemment, pour déférer au désir exprimé par le ministre, toutes les demandes de médaille seront établîtes sur un modèle uniforme et centralisées au Siège social à Paris. Au Siège social, les demandes et les pièces annexes seront classées puis dirigées, ainsi que le prescrit l'Instruction ministérielle, sur les différentes administrations chargées de constater les droits des postulants.

Nos Camarades ne doivent pas se dissimuler le travail énorme que va nécessiter à notre Administration la centralisation, le classement et d'envoi de toutes ces demandes qui seront au nombre de 120.000 environ pour notre Société. Ce travail, si considérable soit-il, sera abordé et poursuivi avec ordre, méthode et célérité, mais nous demandons instamment à nos Camarades de ne pas trop s'impatienter et surtout d'éviter toute correspondance superflue, qui, malgré toute notre bonne volonté, serait, à la veille de notre Congrès annuel, au-dessus de nos forces.

Nous ne comprenons que trop bien l'impatience de nos Vétérans d'entrer en possession du brevet qui leur donnera droit de porter la médaille, mais qu'ils sachent bien que ce n'est pas en opérant avec une précipitation exagérée que l'on fait de la bonne besogne. En nous inondant de lettres et surtout de documents dont nous n'avons que faire, ils paralysent notre action au lieu de la faciliter. La médaille de 1870-1871 ne sera frappée à la Monnaie qu'après la promulgation de la loi, et cette promulgation ne peut avoir lieu qu'après la rentrée des Chambres.

[...]

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 22 du 20 novembre 1911, page 16.

 

La médaille Commémorative de 1870-1871

Voici, à titre documentaire, l'extrait du compte rendu de la séance du Sénat, où cette assemblée a adopté définitivement le texte du projet de loi concernant la médaille commémorative de 1870-1871, voté par la Chambre des députés :

Journal Officiel du 8 novembre 1911.

SÉNAT

Session ordinaire de 1911

COMPTE RENDU IN-EXTENSO

Séance du mardi 7 novembre 1911

SOMMAIRE

8. — Demande de rectification au projet de loi concernant la médaille commémorative en faveur des anciens combattants de tous grades qui ont pris part à la campagne de 1870-1871 : MM. Cauvin, rapporteur ; Dominique Delabaye, le président. Adoption de la rectification.

PRÉSIDENCE DE M. ANTONIN DUBOST

La séance est ouverte à deux heures.

8. — Rectification au projet de loi concernant la médaille de 1870-1871. Adoption.

M. le président. — La parole est à M. Cauvin, rapporteur de la commission de l'armée.

M. Cauvin, rapporteur. — Dans sa première séance du 12 juillet, le Sénat a adopté, à l'unanimité des votants, un projet de loi tendant à la création d'une médaille commémorative en faveur des anciens militaires ou marins de tous grades qui ont pris part à la campagne de 1870-1871.

Votre commission de l'armée avait décidé de soumettre au Sénat un texte absolument conforme au texte voté par la Chambre des députés, mais par suite d'une erreur matérielle qu'elle n'a pas connue en temps utile pour vous en demander la rectification avant la clôture de la session le dispositif joint à son rapport ne contient pas une modification apportée en séance par la Chambre, sur la proposition de sa commission, à l'article 1er du projet présenté par le Gouvernement.

En effet, l'article 1er, tel qu'il résulte du vote de la Chambre, est ainsi conçu : « Il est institué une médaille commémorative pour les combattants de 1870-1871 qui justifieront, par pièces authentiques, de leur présence sous les drapeaux, en France, en Algérie ou à bord des bâtiments armés, entre le mois de juillet 1870 et le mois de février 1871 inclus ».

Ce sont les mots « ou à bord des bâtiments armés » qui ne figurent pas dans le texte que nous vous avons soumis et que vous avez adopté. Votre commission estime que la modification faite par la Chambre n'est qu'une conséquence nécessaire du principe posé par la loi ; elle vous demande de rétablir les mots omis et d'ordonner la rectification de l'article 1er conformément au texte de la Chambre.

L'intitulé du projet de loi devrait être aussi modifié et, comme celui de la Chambre, libellé ainsi qu'il suit : « Projet de loi, adopté par la Chambre des députés, tendant à la création d'une médaille commémorative en faveur des anciens combattants de tous grades qui ont pris part à la campagne de 1870-1871. »

M. le président. — Vous avez entendu, messieurs, la demande de rectification faite par M. le rapporteur de la commission de l'armée. Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. Dominique Delahaye. — Je la demande, monsieur le président.

M. le président. — La parole est à M. Delahaye.

M. Dominique Delahaye. — Chers collègues, il est très bien de réparer les omissions ; mais, pendant qu'on est en train, j'estime qu'il faudrait les réparer toutes. Il est toute une catégorie de serviteurs dévoués de la France qui a été totalement oubliée quand nous avons discuté le projet de loi dont a parlé M. Cauvin, je veux dire les médecins, les infirmiers, en un mot tous ceux qui ont soigné les blessés, et qui, à un titre quelconque, ont montré le plus sublime des dévouements, celui qui consiste à risquer sa vie sans avoir les armes à la main.

Un sénateur, à droite. — C'est très juste.

M. le président. — Monsieur Delahaye, permettez-moi une observation ? En ce moment, le Sénat est uniquement saisi d'une demande de rectification tendant à rétablir dans le texte de l'article 1er qu'il a adopté le 12 juillet dernier les mots « ou à bord des bâtiments armés » qui ont été omis par erreur. Vous ne pouvez donc parler que sur la rectification proposée et non rouvrir un débat clos. ( Assentiment. )

M. Dominique Delahaye. — Monsieur le président, c'est la réouverture de cette discussion qui a été close que je demande au Sénat. Puisque le Sénat se propose de réparer une omission, il peut aujourd'hui, en même temps, en réparer une seconde. Ce serait nous montrer véritablement réparateurs inexpérimentés, quand on nous signale un oubli que de ne pas profiter de la circonstance pour en réparer un autre.

M. le président. — Monsieur Delahaye, je suis obligé de répéter que vos observations ne peuvent porter que sur la rectification demandée par la commission de l'armée. Vous opposez-vous à cette rectification ?

M. Dominique Delahaye. — Je m'y oppose parce qu'elle est incomplète. Voilà sous quelle forme je fais ma proposition à la haute Assemblée. Je n'admets pas que le Sénat ayant connu son oubli, persévère et veuille voter un projet de loi qui consacre une injustice au préjudice des plus dévoués serviteurs de la patrie. ( Très bien ! très bien ! à droite. )

M. le président. — Le Sénat est saisi d'une demande de rectification qu'il ne peut qu'adopter ou rejeter ; mais dans ce dernier cas, le projet devrait être présenté de nouveau à la Chambre des députés. ( Approbation. )

M. Dominique Delahaye. — C'est l'affaire de quarante-huit heures.

Sur un grand nombre de bancs.  — Aux voix ! aux voix !

M. le président. — Je mets aux voix, messieurs, la rectification demandée par la commission de l'armée.
( La proposition de la commission, mise aux voix, est adoptée. )

M. le président. — En conséquence, la rectification est ordonnée.

M. le comte de Pontbriand. — Et la proposition de M. Delahaye ?

M. le président. — C'est une proposition absolument distincte et en dehors de la question sur laquelle le Sénat vient de se prononcer. ( Très bien ! très bien ! )

 

 


 

 

"Le VÉTÉRAN" – N° 4 du 12 février 1912, page 16.

 

La Médaille de 1870

STANCES

Je te salue enfin, Médaille
De mil huit cent soixante dix,
Non, tu n'es pas une trouvaille,
Mais voici ce que je te dis :

On t'a reproché nos défaites,
Voyant les choses à l'envers ;
Nos vertus ne sont pas surfaites,
Toute médaille a son revers.

Tes ennemis te saluèrent
De leur mépris, de leurs discours :
Gagnés maintenant ils préfèrent
Te promettre enfin de beaux jours.

Tout Français aime le panache,
Et le moindre bout de ruban
Change le féroce bravache
En un mouton doux et bêlant.

Mais si, trahis par la Victoire
Nous n'avons plus à notre avoir
Que de minces lambeaux de gloire,
Nous avons fait notre devoir.

Il nous plaira donc, sans jactance
De nous parer de tes atours,
Comme une preuve de vaillance
En souvenir des mauvais jours.

Tu dois entretenir la flamme
Du patriotisme en nos cœurs,
Afin d'effacer de notre âme
La trace de tous nos rancœurs.

En attendant, pleins d'Espérance
Nous entrevoyons l'Avenir ;
Tu nous dis que pour notre France
De meilleurs jours vont revenir.

Déplorant le sort de nos armes,
Prévoyant de futurs combats,
Tu nous diras : « Séchez vos larmes
La Gloire vous attend là-bas ».

Sur la poitrine du grand-père
Tu diras aux petits enfants
Qu'ils se préparent à la Guerre
Avec des espoirs triomphants.

Quant reconquérant nos frontières
Nos braves soldats entrainés,
Guidés par les vertus altières,
Mourront pour venger leurs aînés.

Reste donc à ma boutonnière
Médaille de bronze et d'espoir,
Et dis à toute âme guerrière
L'idéal qu'elle doit avoir.

L'Abbé ACHILLE MEULEY.
Aumônier Titulaire de l'Armée en 1870.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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